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Vente de droits immobiliers d’un enfant : traité russo-bulgare et Bruxelles II ter

En cas de traité conclu entre un État tiers et un État membre avant l’adhésion de ce dernier à l’UE, la juridiction de cet État membre qui ne peut éviter l’incompatibilité entre le traité et le règlement Bruxelles II ter peut écarter le règlement et appliquer le traité.

CJUE 6-3-2025 aff. 395/23


Par David LAMBERT, Avocat à Paris
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@Getty images

Une enfant mineure et sa sœur devenue majeure en cours de procédure, toutes deux de nationalité russe et vivant en Allemagne, héritent à la suite du décès de leur père de parts dans trois biens immobiliers situés en Bulgarie. Un tribunal bulgare est saisi d’une demande déposée en leur nom afin d’obtenir l’autorisation de vendre les parts, avec le consentement de leur mère. En vertu du droit interne bulgare, une telle vente doit être autorisée par le tribunal territorialement compétent. Or, d’après un traité entre l’Union des républiques socialistes soviétiques et la République populaire de Bulgarie relatif à l’entraide judiciaire en matière civile, familiale et pénale, signé à Moscou le 19 février 1975, les juridictions russes (de la nationalité de l’enfant) et bulgares (du lieu de situation de l’immeuble) seraient compétentes. Toutefois, le tribunal saisi s’interroge sur l’applicabilité du règlement 2019/1111 du 25 juin 2019 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, ainsi qu’à l’enlèvement international d’enfants (« Bruxelles II ter ») et du règlement 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale («  Bruxelles I bis »).

Le tribunal interroge la Cour de justice en premier lieu pour savoir si l’autorisation de vendre les parts relève du champ d’application du règlement Bruxelles II ter ou de celui du règlement Bruxelles I bis. La Cour rappelle que le champ d’application de ce dernier règlement inclut la « matière de[s] droits réels immobiliers » mais exclut « l’état et la capacité des personnes physiques ». Or, l’autorisation judiciaire en cause est une mesure prise eu égard à l’état et à la capacité de l’enfant mineur, qui vise à protéger l’intérêt supérieur de celui-ci. Il ressort de la jurisprudence de la Cour que, la nécessité d’obtenir cette autorisation étant ainsi une conséquence directe de cet état et de cette capacité, cette autorisation constitue, indépendamment de la matière de l’acte juridique concerné par cette autorisation, une mesure de protection de l’enfant liée à l’administration, à la conservation ou à la disposition de ses biens dans le cadre de l’exercice de la responsabilité parentale, au sens de l’article 1, § 2-e du règlement Bruxelles II ter, et se rapportant directement à la capacité de la personne physique concernée, au sens de l’article 1, § 2-a du règlement Bruxelles I bis. Elle relève donc du règlement Bruxelles II ter à l’exclusion du règlement Bruxelles I bis. Ce sont donc les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant réside habituellement au moment où la juridiction est saisie qui sont, en principe, compétentes pour délivrer une telle autorisation.

La seconde question porte sur la possibilité d’écarter Bruxelles II ter pour appliquer le traité russo-bulgare. Le règlement prévoit dans ses articles 94 à 99 l’articulation avec certaines conventions internationales, mais ce traité n’est pas mentionné. S’agissant d’un accord conclu par un État membre avec un État tiers avant la date de son adhésion à l’Union, il relève de l’article 351 TFUE (Bruxelles II ter considérant 91). Selon cette disposition, les droits et obligations résultant d’une convention internationale conclue par un État membre antérieurement à la date de son adhésion, d’une part, et un État tiers, d’autre part, ne sont pas affectés par les dispositions des traités européens. Dans la mesure où une telle convention n’est pas compatible avec les traités européens, le ou les États membres en cause recourent à tous les moyens appropriés pour éliminer les incompatibilités constatées, le cas échéant en dénonçant la convention. Selon la jurisprudence de la Cour, pour qu’une telle convention internationale puisse tenir en échec une règle du droit de l’Union, il faut en outre que l’État tiers concerné en tire des droits dont il peut exiger le respect par cet État membre (CJUE 14-3-2024 aff. 516/22). Les juridictions des États membres doivent vérifier si une éventuelle incompatibilité peut être évitée en donnant à la convention internationale, dans toute la mesure du possible et dans le respect du droit international, une interprétation conforme au droit de l’Union. À défaut, l’État membre peut continuer à appliquer les règles dudit traité jusqu’à ce que les mesures nécessaires pour éliminer cette incompatibilité prennent effet.

La Cour relève qu’en vertu de la possibilité d’élection de for prévue par l’article 10 du règlement Bruxelles II ter, les juridictions bulgares pourraient être compétentes si les conditions suivantes sont réunies : existence d’un lien étroit entre l’enfant et la Bulgarie, accord de la mère, conformité de cette élection de for avec l’intérêt supérieur de l’enfant. Il convient de souligner toutefois que les juridictions des États membres sont certes tenues de vérifier si une éventuelle incompatibilité entre le droit de l’Union et une convention bilatérale antérieure, telle que le traité russo-bulgare, peut être évitée en donnant à cette convention, dans toute la mesure du possible et dans le respect du droit international, une interprétation conforme au droit de l’Union. Pour autant, elles ne sont pas tenues de vérifier si une éventuelle incompatibilité entre le droit de l’Union et une telle convention peut être évitée en interprétant le droit de l’Union d’une manière qui soit conforme à ladite convention. Ainsi, le tribunal bulgare ne doit pas recourir à la possibilité de se reconnaître compétent via une élection de for dans le but de concilier le droit de l’Union avec le traité russo-bulgare.

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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