icone de recherche
logo
Accueil/ Actualités - La Quotidienne/ Patrimoine/ Droit international privé

Loi applicable au divorce : pas de résidence habituelle d’un diplomate dans l’État accréditaire

La qualité d’agent diplomatique du mari s’oppose à ce que la « résidence habituelle » du couple soit fixée dans l’État accréditaire, sauf volonté des époux de fixer dans cet État le centre habituel de leurs intérêts et une présence revêtant un degré suffisant de stabilité.

CJUE 20-3-2025 aff. 61/24


Par David LAMBERT, Avocat à Paris
quoti-20250619-pat.jpg

@Getty images

Des époux allemands vivent à Berlin pendant plus de 10 ans avant de s’installer à Stockholm, puis à Moscou, en raison des fonctions diplomatiques du mari. Dans la perspective d’un retour en Allemagne, les époux conservent néanmoins leur logement familial à Berlin où ils font chacun des séjours ponctuels. La femme rentre définitivement à Berlin tandis que son mari dépose une demande en divorce devant un tribunal allemand au motif qu’il vivait séparément de sa femme depuis plus d’un an (condition exigée par le droit allemand). L’épouse s’y oppose, contestant la durée de la séparation, et le tribunal rejette la demande en divorce. Le mari forme un recours.

Le tribunal régional supérieur prononce le divorce en vertu de la loi russe qu’il juge applicable au litige en vertu de l’article 8, b du règlement 1259/2010 du 20 décembre 2010, mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps (dit « Rome III »). Le tribunal régional estime que la résidence habituelle du mari se trouvait à Moscou et que celle de la femme n’avait pris fin qu’à compter de son départ pour l’Allemagne, moins d’un an avant la saisine de la juridiction allemande. Le règlement Rome III prévoit qu’à défaut de choix de la loi applicable par les époux, le divorce est régi par la loi de l’État : de la résidence habituelle des époux au moment de la saisine de la juridiction ; ou, à défaut, de la dernière résidence habituelle des époux, pour autant que cette résidence n’ait pas pris fin plus d’un an avant la saisine de la juridiction et que l’un des époux réside encore dans cet État au moment de la saisine de la juridiction ; ou, à défaut, de la nationalité des deux époux au moment de la saisine de la juridiction ; ou, à défaut, dont la juridiction est saisie.

Un pourvoi est formé par l’épouse devant la Cour fédérale allemande. Celle-ci saisit la Cour de Justice d’une question préjudicielle, afin de déterminer si constituent des éléments pertinents, voire déterminants, l’affectation dans un État de l’un des époux en sa qualité d’agent diplomatique, la durée de la présence physique des époux dans cet État ainsi que le degré d’intégration sociale et familiale dans celui-ci pour déterminer leur résidence habituelle.

Après avoir rappelé qu’il convient de donner une définition autonome de la résidence habituelle au sens du règlement Rome III, la Cour de Justice indique que l’interprétation de son champ d’application et de ses dispositions doit être cohérente avec celle retenue pour le règlement « Bruxelles II bis » (désormais remplacé par « Bruxelles II ter ») qui régit les questions de compétence en matière de divorce (Considérant 10). Elle transpose donc à Rome III sa jurisprudence rendue sur le fondement de Bruxelles II bis. Selon celle-ci, la résidence habituelle se caractérise par la réunion de deux éléments : d’une part, la volonté de l’intéressé de fixer le centre habituel de ses intérêts dans un lieu déterminé et, d’autre part, une présence qui revêt un degré suffisant de stabilité sur le territoire de l’État membre concerné (CJUE 1-8-2022 aff. 501/20).

La Cour indique ensuite que la question posée par la Cour fédérale est essentiellement une question de fait. Néanmoins, elle donne des éléments de réponse.

Sur la qualité d’agent diplomatique de l’un des époux, elle observe que le séjour d’un agent diplomatique sur le territoire de l’État accréditaire répond, en principe, exclusivement à des fins professionnelles et non à la volonté et aux préférences personnelles de l’agent diplomatique. Ce qui plaide pour l’absence de résidence habituelle dans cet État. Toutefois, il n’est pas exclu que, dans des circonstances de fait particulières, l’État accréditaire puisse être considéré comme étant celui où les époux concernés ont voulu installer leur résidence habituelle, notamment lorsque l’agent diplomatique et son conjoint acquièrent à titre privé un logement dans l’État accréditaire pour s’y établir ensemble après la fin de son affectation. Par conséquent, si la qualité d’agent diplomatique de l’un des époux constitue un élément pertinent, cet élément n’est pas à lui seul déterminant pour exclure la reconnaissance d’une résidence habituelle de l’intéressé.

En ce qui concerne la durée de la présence physique des époux sur le territoire d’un État, elle n’est pas, en soi, un élément déterminant dans le cas particulier des agents diplomatiques : les époux pourraient être présents sur ce territoire pour une période non négligeable tout en gardant le centre de leurs intérêts dans l’État accréditant, dans lequel ils se rendent régulièrement. Le degré d’intégration sociale et familiale dans l’État concerné est un critère essentiel de la détermination du lieu de la résidence habituelle de l’enfant en matière de compétence pour les questions de responsabilité parentale (laquelle relève du règlement Bruxelles II bis). S’il est vrai que les circonstances particulières qui caractérisent la résidence habituelle d’un enfant ne sont pas identiques à celles permettant de déterminer la résidence habituelle des époux, l’intégration sociale dans un État, qu’il soit l’État accréditaire ou l’État accréditant, constitue un élément pertinent aux fins de la détermination de cette résidence, car elle est de nature à en concrétiser l’élément subjectif tenant à la volonté des intéressés de fixer le centre habituel de leurs intérêts dans un lieu déterminé. Les attaches familiales conservées dans l’État accréditant ou, au contraire, celles créées dans l’État accréditaire peuvent également être pertinentes.

La Cour rappelle enfin qu’il faut transposer la jurisprudence rendue à propos de Bruxelles II bis, selon laquelle un époux qui partage sa vie entre deux États ne peut avoir sa résidence habituelle que dans un seul de ces États (CJUE 25-11-2021 aff. 289/20).

Elle conclut que, sous réserve de plus amples vérifications de la part de la juridiction de renvoi, ces éléments laissent à penser que les époux, malgré la durée de leur séjour en Russie, n’ont pas eu la volonté d’y fixer le centre habituel de leurs intérêts. Ce dernier est demeuré dans l’État accréditant duquel ils ne se sont éloignés que de manière temporaire, de sorte que le droit allemand apparaît comme étant celui de l’État de la résidence habituelle des époux.

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

Aller plus loin


Mémento Successions Libéralités 2025
patrimoine -

Mémento Successions Libéralités 2025

Votre référence en la matière !
169,00 € TTC
Mémento Comptable 2026
patrimoine -

Mémento Comptable 2026

La réglementation comptable en un seul volume
199,00 € TTC