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L’établissement distinct doit permettre l’exercice effectif des prérogatives du CSE

Pour la Cour de cassation, l’autonomie de gestion du responsable d’établissement ne suffit pas à caractériser l’établissement distinct. Il faut également que le périmètre retenu soit pertinent au regard des prérogatives du CSE.

Cass. soc. 9-6-2021 n° 19-23.745 FS-PR, N. c/ AssociationAeram ; ; Cass. soc. 9-6-2021 n° 19-23.153 FS-PR, Sté GE Medical Systems c/ SyndicatCFE-CGC métallurgie Ile de France


Par Laurence MECHIN
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©iStock

La Cour de cassation poursuit sa construction jurisprudentielle sur la mise en place du comité social et économique (CSE) dans les entreprises à établissements distincts lorsque, faute d'accord conclu avec les syndicats ou le CSE, l'employeur fixe unilatéralement le nombre et le périmètre de ces établissements, comme le prévoit l'article L 2313-4 du Code du travail. Dans deux décisions destinées à être publiées dans son Rapport annuel, la Cour de cassation précise les pouvoirs du juge saisi d’un recours. Elle rappelle le critère légal d’autonomie de gestion du chef d’établissement, mais subordonne la reconnaissance d’un établissement distinct au critère de l’effectivité de l’action du CSE.

A noter :

Les principes dégagés dans cet arrêt devront guider tant l’employeur, lorsque faute d’accord collectif il décide unilatéralement du nombre et du périmètre des établissements distincts, que l’administration lorsqu’elle est saisie d’un recours contre cette décision unilatérale, en application des articles L 2313-4 et L 2313-5 du Code du travail.

Le tribunal judiciaire saisi d’un recours doit examiner tous les éléments de preuve

Dans la première affaire soumise à la Cour de cassation (n° 19-23.745), l’association employeur avait été unilatéralement découpée en 7 établissements distincts, mais le Direccte (devenu Dreets depuis le 1er avril 2021), saisi d’un recours par plusieurs délégués syndicaux, avait annulé cette décision et dit qu’un seul CSE devait être mis en place. L’employeur avait contesté cette décision devant le tribunal d’instance (devenu tribunal judiciaire), qui lui a donné raison. Dans la seconde affaire (n° 19-23.153), l’employeur avait décidé unilatéralement de la mise en place d’un seul CSE, décision contestée par les organisations syndicales. L’administration saisie du recours avait fixé à 3 le nombre d’établissements distincts, et son analyse avait été approuvée par le tribunal d’instance.

Après avoir rappelé les termes de l'article L 2313-5 du Code du travail, selon lequel les contestations élevées contre la décision du Dreets fixant le nombre et le périmètre des établissements distincts relèvent de la compétence du tribunal judiciaire, en dernier ressort, à l'exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux, la Cour rappelle les conclusions qu’elle en tire s’agissant du contrôle exercé par le juge. Il appartient en effet au tribunal judiciaire (ici, au tribunal d'instance) d'examiner l'ensemble des contestations élevées contre la décision administrative, qu'elles portent sur la légalité externe ou la légalité interne de cette décision, en s’appuyant sur les éléments de preuve fournis par les parties. S'il les dit mal fondées, il confirme la décision. S'il les accueille partiellement ou totalement, il statue à nouveau, par une décision se substituant à celle de l'autorité administrative, sur les questions demeurant en litige (voir précédemment Cass. soc. 19-12-2018 n° 18-23.655 FS-PBRI).

Dans la première espèce soumise à la Cour de cassation, les syndicats demandeurs reprochaient notamment au tribunal de ne pas avoir analysé, même sommairement, les pièces versées aux débats, violant ainsi, selon eux, les articles 9 et 455 du Code de procédure civile. Dans la seconde affaire, un grief similaire était soulevé par l’employeur, le tribunal n’ayant pas, selon lui, examiné lui-même les éléments de preuve, se contentant de s’en remettre au contrôle exercé par l’administration.

L’argument est entendu par la Cour de cassation, qui casse et annule les deux jugements qui lui étaient soumis : en n’examinant pas les éléments de preuve produits tant par l’employeur que par les syndicats, les tribunaux n’ont pas donné de base légale à leur décision.

Un double critère pour reconnaître l’établissement distinct

Un rappel : le critère légal de l’autonomie de gestion

Pour reconnaître à une entité la qualité d’établissement distinct, le tribunal doit mettre en évidence le critère d’autonomie de gestion du responsable d’établissement, notamment en matière de gestion du personnel, tel que visé par l’article L 2313-4 du Code du travail. La Cour de cassation confirme, dans ces 2 espèces, l’interprétation qu’elle retient de ce critère. Ainsi, est un établissement distinct celui qui présente, notamment en raison de l’étendue des délégations de compétence dont dispose son responsable, une autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l’exécution du service (Cass. soc. 19-12-2018 n° 18-23.655 FS-PBRI). La centralisation de fonctions support ou l’existence de procédures de gestion définies au niveau du siège ne sont pas de nature à exclure en elles-mêmes l’autonomie de gestion des responsables d’établissement (Cass. soc. 11-12-2019 n° 19-17.298 F-PB ; Cass. soc. 22-1-2020 n° 19-12.011 FS-PB).

Une nouveauté : le critère d’effectivité de l’exercice de ses missions par le CSE

Dans ces deux espèces, la Cour de cassation reproche aux juges du fond de ne pas avoir recherché, au regard des éléments de preuve produits par les parties (voir ci-dessus), si les responsables d’établissement avaient effectivement une autonomie suffisante, mais également si « la reconnaissance à ce niveau d’établissements distincts pour la mise en place des CSE était de nature à permettre l’exercice effectif des prérogatives de l’institution représentative du personnel ». En d’autres termes, une relative autonomie du chef d’établissement en matière de gestion du personnel ne suffit pas à caractériser un établissement distinct. Encore faut-il que le découpage retenu permette d’assurer la représentation de tous les salariés de l’entreprise (en ce sens : QR min. trav. « Comité social et économique » du 16-1-2020 n° 25) et soit pertinent pour l’exercice, par le CSE, de ses prérogatives notamment en matière d’information et de consultation des salariés. Les deux critères ainsi mis en évidence par la Cour de cassation sont cumulatifs.

A noter :

Le principe n’a, en soi, rien de surprenant. Dans la note explicative jointe à l’arrêt du 19 décembre 2018 précité, la Cour de cassation avait précisé qu’elle reprenait à son compte la définition retenue par le Conseil d’État, compétent avant la loi Travail (Loi 2016-1088 du 8-8-2016 : JO 9) en cas de litige relatif à une décision administrative de reconnaissance de la qualité d'établissement distinct pour la mise en place des comités d'établissement. Le juge administratif « s'attachait ainsi essentiellement à vérifier les pouvoirs consentis au responsable de l'établissement et l'autonomie de décision dont il pouvait disposer pour que le fonctionnement normal des comités d'établissement puisse être assuré à son niveau, pouvoirs qui devaient être caractérisés en matière de gestion du personnel et d'exécution du service » (CE 29-6-1973 n° 77982 ; CE 27-3-1996 n° 155791).

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne