Dans les deux affaires commentées, des concubins ont acheté en indivision leur logement. À la fin de la vie commune (séparation / décès), l’un se prévaut d’une créances, à l’égard de l’indivision dans le premier cas, de la succession du compagnon défunt dans l’autre cas. Leurs demandes sont déclarées irrecevables car prescrites. Ils contestent, arguant de la suspension de prescription du fait de leur impossibilité d’agir durant le concubinage.
La Cour de cassation rejette leur pourvoi. La prescription ne court pas ou est suspendue que contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure (C. civ. art. 2234). Or, le concubinage ne peut, en soi, caractériser l’impossibilité dans laquelle serait une personne d’agir contre l’autre durant la vie commune, faute de remplir les conditions d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extériorité de la force majeure.
Dans la première affaire, le demandeur avait fait valoir que l’obligation d’agir durant la vie commune était de nature à mettre en péril sa vie privée et familiale (Conv. EDH art. 8). L’argument est rejeté car il n’a fait état d’aucune incidence concrète en la matière. Au contraire, la Cour de cassation relève que compte tenu de la supériorité de ses revenus dès l'origine de la vie commune, le demandeur aurait été en mesure de préserver ses droits lors de l'acquisition immobilière. Dès lors, sa réticence à solliciter pendant le temps du concubinage le remboursement des sommes qu'il avait exposées pour le compte de l'indivision ne remplissait pas les conditions d'imprévisibilité, d'irrésistibilité et d'extériorité de la force majeure permettant d'établir son impossibilité d'agir et d'interrompre la prescription.
A noter :
Les époux et les partenaires bénéficient de la suspension de la prescription durant l’union par la loi (C. civ. art. 2236). Mais la Cour de cassation refuse d’étendre ce bénéfice aux concubins, et, à l’occasion d’une QPC formulée dans la même affaire que la première commentée, elle a précisé ne voir en cette différence de traitement aucune inconstitutionnalité en raison de leurs différents statuts patrimoniaux (Cass. 1e civ. QPC 10-7-2024 n° 24-10.157 F-B : BPAT 5/24 inf. 183).
En l’espèce, faute de prévision conventionnelle, les concubins ont tenté de s’emparer de la force majeure (C. civ. art. 2234). Ils sont déboutés, la situation de concubinage ne suffit pas à caractériser l’impossibilité d’agir en recouvrement de la créance durant la vie commune. Comme le relèvent les juges du fond et la Cour de cassation dans le premier arrêt, les concubins avaient les moyens d’anticiper le règlement de leurs éventuelles créances.
En effet, ils disposent de nombreux outils conventionnels : reconnaissance de dette, convention d’indivision ou encore convention de concubinage. Chacune de ces conventions peut prévoir le règlement des créances à la fin du concubinage et la suspension de la prescription. Mais surtout, il est vivement préférable que les quotes-parts indivises dans l’acte d’achat soient représentatives du financement réel des concubins (prise en compte des différences d’apports ou de revenus).
Enfin, une voie semble être plus tolérante à l’égard des concubins créanciers : l’enrichissement injustifié, voie pour laquelle les juges du fond fixent parfois le point de départ de la prescription à la date de la rupture (CA Riom 1e ch. civ. 12-9-2023 n° 21/02203. Sur cette question, voir B. Travely, Rupture des concubins : les rapports patrimoniaux hors l'indivision : SNH 3/24 inf. 10).