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Quels dommages-intérêts en cas de non-respect du Smic ?

Le défaut de bénéfice du Smic ouvre droit, pour le salarié, à un rappel de salaire assorti d’intérêts moratoires et, le cas échéant, de dommages-intérêts distincts. Encore faut-il prouver la mauvaise foi de l’employeur, comme vient de le préciser la Cour de cassation.

Cass. soc. 29-9-2021 n° 20-10.634 FS-B, Sté Distribution Casino France c/ V.


Par Valérie BALLAND
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©iStock

La règle de libre fixation des salaires comporte certaines limites : l’employeur doit verser au salarié une rémunération au moins égale au Smic, ou au salaire minimum conventionnel correspondant à sa qualification professionnelle, s’il est plus favorable.

L’employeur est donc tenu de s’assurer qu’aucun salarié n’est rémunéré en deçà de ces minima. Auquel cas, il doit réajuster les rémunérations en conséquence sur la période de paie considérée.

Tel sera le cas notamment à l’occasion d’une revalorisation du Smic. Étant rappelé que celle-ci n’a d’incidence que sur les salaires qui, du fait de la hausse, deviennent inférieurs au minimum légal. Elle n’a en revanche aucune conséquence sur les rémunérations qui lui sont supérieures. L’employeur n’a en effet aucune obligation juridique de les revaloriser à due proportion, la loi elle-même interdisant de prévoir une indexation des salaires sur le Smic (C. trav. art. L 3231-3).

En l’espèce, un couple de cogérants non salariés d’une supérette avait obtenu de la juridiction prud’homale le paiement d’un rappel de rémunération au titre du respect du Smic sur plusieurs années. Parallèlement, l’épouse cogérante avait demandé des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi en raison du non-respect du Smic.

A noter :

Le statut des gérants non salariés des succursales de commerce de détail alimentaire est fixé aux articles L 7322-1 à L 7322-6 du Code du travail. À ce titre, ils bénéficient de certaines dispositions du Code du travail et notamment de la garantie du Smic (C. trav. L 7321-3, 4° en application de L 7322-1, al. 1).

Des sanctions pénales et civiles en cas de non-respect du Smic

Rappel des sanctions encourues

Le non-respect du Smic est puni de l’amende prévue pour les contraventions de 5e classe (soit 1 500 €) pour chaque salarié rémunéré dans des conditions illégales. En cas de récidive dans le délai d’un an, l’employeur est passible des peines prévues pour les contraventions de 5e classe en récidive (soit 3 000 €) (C. trav. art. R 3233-1).

Outre le rappel de salaire calculé de façon à porter la rémunération au niveau du Smic, l’employeur qui n’a pas respecté ses obligations au regard de la législation sur le Smic peut être condamné à verser des dommages-intérêts au salarié, en application de l’article 1231-6 du Code civil. Ces dommages-intérêts sont de deux ordres :

  • des intérêts de retard ou intérêts moratoires lorsque la rémunération n’est pas versée à l’échéance fixée ;

  • des dommages-intérêts distincts des intérêts moratoires lorsque le débiteur en retard (l’employeur) a causé par sa mauvaise foi un préjudice indépendant de ce retard au créancier (le cogérant non salarié en l’espèce).

La notion de préjudice de principe en cause

En 2011, puis en 2012, la Cour de cassation avait jugé que le manquement de l’employeur à son obligation de paiement d’une rémunération au moins égale au Smic causait nécessairement un préjudice au salarié dont il appartenait au juge d’apprécier le montant (Cass. soc. 29-6-2011 n° 10-12.884 FS-PB : RJS 10/11 n° 797 ; Cass. soc. 19-1-2012 n° 10-35.005 F-D).

Le caractère de principe de ce préjudice dispensait le salarié de prouver qu'il avait subi un quelconque dommage et d’établir le lien entre ce préjudice et le manquement de l’employeur. Pour justifier cette solution, la Cour se fondait sur le caractère particulier de cette rémunération qui, selon l'article L 3231-2 du Code du travail, a pour objet d'assurer aux salariés dont les rémunérations sont les plus faibles la garantie de leur pouvoir d'achat.

Toutefois, en 2016, la Cour de cassation est revenue sur la notion de préjudice de principe qu’elle avait employée au sujet d’autres types de manquements de l’employeur. Elle a décidé que l’existence d’un préjudice et l’évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond (Cass. soc. 13-4-2016 n° 14-28.293 FS-PBR : RJS 6/16 n° 423). Dès lors, l’existence d’un préjudice n’est plus présumée : le salarié qui s’estime victime d’un manquement commis par son employeur à ses obligations doit en prouver l’existence et établir un lien entre ce manquement et son préjudice.

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On pouvait donc penser qu’à la suite de ce revirement les arrêts précités étaient remis en cause, sans que ce soit toutefois une certitude. En effet, la Haute Juridiction a maintenu sa jurisprudence antérieure à 2016 dans des cas très limités. Elle a par exemple jugé que l'employeur qui n'a pas accompli, bien qu'il y soit légalement tenu, les diligences nécessaires à la mise en place d'institutions représentatives du personnel, sans qu'un procès-verbal de carence ait été établi, commet une faute qui cause un préjudice aux salariés. Elle a considéré en effet que, dans cette situation, les salariés étaient privés d'une possibilité de représentation et de défense de leurs intérêts et que, par conséquent, ils subissaient nécessairement un préjudice (Cass. soc. 17-10-2018 n° 17-14.392 FS-PB : RJS 12/18 n° 730 ; Cass. soc. 15-5-2019 n° 17-22.224 F-D : RJS 7/19 n° 445).

Pas de dommages-intérêts distincts des intérêts de retard sans preuve de la mauvaise foi de l’employeur

En l’espèce, la cour d’appel avait condamné la société à payer à la cogérante non salariée une somme de 3 000 € à titre de dommages-intérêts, considérant qu'en la privant du bénéfice du Smic, qui était d'ordre public absolu et qui tendait à lui assurer un revenu garantissant un pouvoir d'achat, elle avait causé à l'intéressée un préjudice distinct de celui compensé par les intérêts de retard.

La société estimait pour sa part que le juge ne pouvait allouer au créancier des dommages-intérêts distincts des intérêts moratoires qu'à la condition de caractériser conformément à l’article 1231-6 du Code civil, d'une part, la mauvaise foi du débiteur, et, d'autre part, l'existence d'un préjudice indépendant du retard de paiement.

La chambre sociale approuve le raisonnement de l’employeur et lève ainsi le doute, pour la première fois à notre connaissance, sur l’abandon de sa jurisprudence relative au préjudice nécessaire en cas de non-respect du Smic. Son arrêt est rendu au visa de l’article 1231-6 du Code civil dont elle fait une application stricte et prend soin de rappeler les dispositions : le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard peut obtenir des dommages-intérêts distincts des intérêts moratoires de la créance.

Or, en l’espèce, si les juges du fond ont bien relevé que la privation du bénéfice du Smic avait causé un préjudice à l’intéressée, distinct de celui compensé par les intérêts de retard, ils n’ont en revanche pas caractérisé la mauvaise foi de la société.

Des dommages-intérêts compensatoires auraient donc pu être accordés à la cogérante si elle avait prouvé non seulement le préjudice subi en raison du non-respect du Smic, mais également la mauvaise foi de son employeur.

La nécessité d’un préjudice distinct de celui résultant du retard de paiement, causé par la mauvaise foi de l’employeur, avait déjà été retenue par la chambre sociale notamment en matière de paiement d’heures supplémentaires (Cass. soc. 14-9-2016 n° 14-26.101 F-PB : RJS 11/16 n° 698).

A notre avis :

La même solution devrait valoir, à notre sens, en cas de non-respect du minimum conventionnel, le salarié pouvant de la même manière réclamer à son employeur un rappel de salaire, assorti d’intérêts au taux légal en application de l’article 1231-6 du Code civil (Cass. soc. 25-11-1998 n° 97-41.773 D : RJS 1/99 n° 43) et, le cas échéant, de dommages-intérêts. Il ne fait par ailleurs aucun doute que la décision prise ici pour des gérants non salariés de succursales de commerce de détail alimentaire est applicable aux salariés.

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne