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La garantie contre les changements de doctrine ne s’applique pas en cas de montage artificiel

Si le contribuable ne peut se voir reprocher un abus de doctrine, il est cependant privé de la garantie en cas de montage artificiel. C’est ce que vient de trancher le Conseil d’Etat dans un arrêt de principe très attendu.

CE ass. 28-10-2020 n° 428048


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1. Dans une décision particulièrement attendue rendue en Assemblée du contentieux, le Conseil d’Etat répond à la question de savoir si l’administration peut reprocher à un contribuable d’avoir commis un abus de droit, alors qu’il s’est conformé aux termes mêmes d’une instruction administrative plus favorable que la loi fiscale. Cette question relative à l’articulation entre la garantie contre les changements de doctrine prévue à l’article L 80 A du LPF et la procédure de l’abus de droit fiscal prévue à l’article L 64 du LPF avait déjà donné lieu à un avis du juge de cassation selon lequel l’administration ne peut pas reprocher au contribuable d’avoir abusé de sa doctrine administrative (Avis CE 8-4-1998 n° 192539 ass., Société de distribution de chaleur de Meudon et Orléans (SDMO) : CF-V-20840).

2. La Haute Juridiction ne remet pas formellement en cause cette solution de principe rendue sous l’empire de l’article L 64 du LPF dans sa rédaction en vigueur avant 2009. Elle en atténue toutefois la portée en jugeant que l’administration peut faire échec à la garantie contre les changements de doctrine si elle démontre l’existence d’un montage artificiel. Elle rejette par suite le pourvoi du contribuable dirigé contre un arrêt de la cour administrative d’appel de Paris ayant reconnu l’existence d’un tel montage (CAA Paris 20-12-2018 n° 17PA00747 : BF 3/19 inf. 254, obs. O. Fouquet FR 4/19 inf. 4).

A noter : Sur la portée de cette décision, on peut se reporter à l’étude de S. Austry et S. Dardour-Attali publiée au FR 47/20.

Le contexte de l’affaire

3. Le contribuable avait acquis 1,053 % du capital de la société Balmain à laquelle il comptait céder les titres de sa propre société, la SAS Marie-Clémence, en vue de son départ à la retraite. Pour bénéficier, sur la plus-value de cession, de l’abattement pour durée de détention prévu à l’époque pour les dirigeants de PME partant à la retraite, il ne devait détenir à la date de la cession et pendant les trois années suivantes aucune participation dans la société cessionnaire. Une tolérance administrative admettait toutefois que le dirigeant puisse détenir une participation maximum de 1 % dans le capital de la société cessionnaire.

A noter : Cette condition légale d’absence de détention d’une participation dans la société cessionnaire demeure applicable dans le cadre du régime actuel de l’abattement fixe de 500 000 € prévu à l’article 150-0 D ter du CGI. L’administration retient la même tolérance de 1 % de participation dans la société cessionnaire (BOI-RPPM-PVBMI-20-40-10-40 n° 490 : RM-VI-15030).

4. Afin de se conformer aux prescriptions de cette tolérance administrative, le contribuable avait cédé à une société tierce détenue par un de ses proches collaborateurs des titres de la société Balmain, faisant passer sa participation dans cette société à 0,97 %. Puis il avait cédé le jour suivant à la société Balmain en franchise d’imposition la totalité des actions de la SAS Marie Clémence, compte-tenu de l’application sur la plus-value de cession de l’abattement pour durée de détention au taux de 100 %. Un peu plus de trois ans plus tard, le contribuable avait racheté pour un prix symbolique la totalité des parts de cette société tierce.

5. A la suite d’un contrôle sur pièces, l’administration avait remis en cause sur le terrain de l’abus de droit fiscal par fraude à la loi le bénéfice de l’abattement pour durée de détention. Elle avait relevé que la cession d’une fraction des titres la société Balmain à une société tierce avait pour seul objet de permettre au contribuable de détenir à la date de la cession de sa société moins de 1 % du capital de la société cessionnaire, analyse suivie par les juges du fond.

Une confirmation de la jurisprudence SDMO …

6. La question se posait de savoir si la jurisprudence SDMO, rejetant toute possibilité pour l’administration d’invoquer un abus de doctrine administrative, conservait sa pertinence sous l’empire de l’article L 64 du LPF dans sa rédaction issue de l’article 35 de la loi de finances rectificative pour 2008. Le législateur avait souhaité intégrer dans la loi toute la portée de la jurisprudence « Société Janfin » selon laquelle la fraude à la loi est caractérisée lorsque deux conditions cumulatives sont remplies : la poursuite d’un but exclusivement fiscal (critère subjectif), d’une part, et la recherche du bénéfice d’une application littérale des textes à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs (critère objectif), d’autre part (CE sect. 27-9-2006 n° 260050 : RJF 12/06 n° 1583). 

7. Le texte définitif de l’article L 64 du LPF comportait toutefois une nuance par rapport à cette jurisprudence, ses dispositions faisant mention d’une application littérale « de textes ou de décisions ». L’administration avait par la suite interprété le terme « décisions » comme visant les instructions administratives publiées « dont les dispositions outrepassent le commentaire et comportent ainsi une interprétation qui ajoute à la norme » (Inst. 9-9-2010, 13 L-9-10 n° 15 et 16 repris au BOI-CF-IOR-30 n° 80 à 110 : CF-VI-28950). Elle entendait ainsi considérer que la jurisprudence SDMO n’était plus opérante sous l’empire des nouvelles dispositions de l’article L 64 du LPF.

A noter : Le terme de « décisions » figure également au nouvel article L 64 A du LPF instituant la procédure de « mini abus de droit » par fraude à la loi résultant d’une opération poursuivant un but principalement fiscal (Loi 2018-1317 du 28-12-2018 art. 109 : FR 1/19 inf. 121 ; BOI-CF-IOR-30-20 : FR 9/20 inf. 8).

8. Une telle interprétation n’est pas sans poser des difficultés compte-tenu d’une jurisprudence constante selon laquelle la doctrine administrative ne peut être opposée à l’administration sur le fondement de l’article L 80 A du LPF qu’en se conformant à sa lettre, sans qu’il soit nécessaire de rechercher les intentions qui l’ont motivées (« la doctrine n’a aucun esprit » selon l’expression de Jérôme Turot dans son étude à la RJF 5/92 ). C’est donc logiquement que le juge de cassation rejette l’analyse de l’administration reprise par la cour administrative d’appel, jugeant au contraire que le terme « décisions » ne peut pas être interprété comme faisant référence aux instructions et circulaires émanant de l’administration fiscale.

A noter : Le Comité de l’abus de droit fiscal avait déjà rendu un avis en ce sens selon lequel une instruction fiscale n’est pas au nombre des décisions visées par l’article L 64 du LPF (Avis CADF 6-11-2015 n° 2015-07).

… sous réserve d’un montage artificiel

9. La Haute Juridiction apporte toutefois un tempérament sensible à la jurisprudence SDMO en précisant que l’administration peut faire échec à la garantie contre les changements de doctrine sur le terrain de l’abus de droit fiscal si elle démontre, par des éléments objectifs, que l’opération en litige procède d’un montage artificiel dénué de toute substance. Il ressort de la jurisprudence du Conseil d’Etat que l’existence d’un montage artificiel permet non seulement de regarder la condition objective de l’abus de droit par fraude à la loi comme remplie (l’intention du législateur est réputée méconnue par principe), mais constitue également un indice du but exclusivement fiscal de l’opération (notamment CE 8-2-2019 n° 407641 : BF 5/19 inf. 433). 

A notre avis : Le juge de cassation n’apporte aucune précision quant à la notion de montage artificiel, le rapporteur public ajoutant dans ses conclusions que tout est affaire d’espèce. Une telle situation n’est pas sans créer une certaine insécurité juridique, compte-tenu des interprétations divergentes pouvant être retenues par les juges du fond. Cela étant, le Conseil d’Etat relève dans sa décision que la cour administrative d’appel a pu, « sans commettre d’erreur de qualification juridique », reconnaître l’existence d’un montage artificiel. La Haute Juridiction signale ainsi qu’elle entend conserver, sur la base d'éléments objectifs, un contrôle sur l’interprétation donnée de cette notion par les juges du fond.

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