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C’est à l’héritier poursuivi par un créancier de rapporter la preuve d’une division de la dette

L'héritier saisi peut être poursuivi par les créanciers de la succession, sauf à lui à renoncer ou à démontrer qu'il est exclu par des héritiers plus proches ou un légataire universel ou encore que la dette doit être divisée entre les héritiers au prorata de leurs droits.

Cass. 1e civ. 12-6-2024 n° 22-16.817 F-D


Par Emmanuel de LOTH
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©Getty Images

L’Urssaf notifie au fils d’une femme décédée quelques années plus tôt une mise en demeure aux fins de recouvrement des cotisations de particulier employeur dues par sa mère. Trois ans plus tard, l’Urssaf lui signifie une contrainte, qui est une procédure extrajudiciaire conçue pour faciliter et accélérer le recouvrement des cotisations et majorations.

Pour annuler cette contrainte, la cour d’appel de Toulouse relève que celle-ci avait été adressée au fils pour la totalité des cotisations réclamées. Or, dès la notification de la mise en demeure, l’Urssaf avait été informée par l’intéressé de l’existence de plusieurs héritiers. Il lui appartenait dès lors de vérifier leur identité exacte auprès du notaire en charge de la succession et de diviser les poursuites à l’encontre de chacun d’eux pour leur part. Les juges d’appel en déduisent qu’ils ne peuvent valider la contrainte prise à l’encontre d’un seul des héritiers de la débitrice.

Portant l’affaire devant la Cour de cassation, l’Urssaf fait valoir que c’était au fils de rapporter la preuve d’une division entre les héritiers au prorata de leurs droits respectifs et non à elle de rechercher l’identité exacte des héritiers et l’étendue de leurs droits dans la succession.

L’argumentation fait mouche puisque l’arrêt d’appel est cassé au visa des articles 724 (saisine) et 1353 (charge de la preuve) du Code civil.

Il résulte du premier de ces textes que l'héritier désigné par la loi, saisi de plein droit des biens, droits et actions du défunt, peut être poursuivi par les créanciers de la succession, sauf à lui à renoncer à celle-ci ou à démontrer qu'il est primé par des héritiers plus proches ou qu'il est exclu par un légataire universel ou encore, que la dette doit être divisée entre les héritiers au prorata de leurs droits respectifs. Selon le second, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

En statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve et violé ces textes.

A noter :

La « saisine » héréditaire peut être définie comme l’autorisation légale d’appréhender les biens du défunt et d’exercer sous certaines réserves ses droits et actions. Mais elle comporte également une dimension passive, comme l’illustre la décision rapportée.

C’est parce que leur vocation successorale n’est pas contestable – elle procède de la loi elle-même – que la saisine est reconnue de plein droit aux héritiers légaux. Figurent donc dans la liste des héritiers a priori saisis : les descendants, les ascendants, les collatéraux et le conjoint survivant du défunt (Cass. 1e civ. 6-11-2013 n° 12-25.364 F-D). La saisine de l’héritier légal est toutefois conditionnée à ce que celui-ci vienne à la succession en rang utile.

Parmi les effets de la saisine figure l’obligation de l’héritier saisi au paiement des dettes du défunt. En principe, l’héritier saisi peut être poursuivi par les créanciers de la succession. Il peut l’être avant même d’avoir accepté la succession (notamment, Cass. 1e civ. 7-6-2006 n° 04-30.863 F-PB ; Cass. 1e civ. 19-9-2019 n° 18-18.433 F-D : BPAT 6/19 inf. 252, Dr. famille 2019 comm. 222 par M. Nicod). Comme le rappelle ici la Haute Juridiction, il peut toutefois échapper aux poursuites s’il renonce à la succession ou s’il peut démontrer qu’il est primé par des héritiers plus proches ou exclu par un légataire universel, ou encore que la dette doit être divisée entre les héritiers au prorata de leurs droits respectifs (Cass. 1e civ. 15-3-1988 n° 86-15.791 : Bull. civ. I n° 82, RTD civ. 1988 p. 799 obs. J. Patarin, Defrénois 1988 art. 34289 p. 933 obs. G. Champenois ; Cass. 1e civ. 5-4-2005 n° 03-18.371 F-PB : D. 2005 p. 2373 note V. Brémond ; Cass. 1e civ. 7-6-2006 n° 04-30.863 F-PB, précité). La dernière hypothèse vise l’application du principe de la division des dettes, qui oblige le créancier, en présence d’une pluralité d’héritiers, à diviser en principe ses poursuites contre eux au prorata de leur part héréditaire (C. civ. art. 873 et 1309). C’était donc ici au fils de rapporter la preuve de l’existence d’autres héritiers et de l’étendue de leurs droits dans la succession. Comme l’avait relevé un commentateur de cette jurisprudence, « la solution a sans doute le mérite de la simplicité [et] il n’est pas injuste de faire reposer la charge de la preuve d’un fait sur les épaules de celui qui est le plus à même de le rapporter » (V. Brémond, note précitée).

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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