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Un indivisaire peut agir seul en liquidation d’une astreinte pour la remise en état du bien indivis

L’action qui a pour objet la liquidation d’une astreinte prononcée en vue d’assurer la remise en état des biens indivis constitue un acte conservatoire que tout indivisaire peut accomplir seul.

Cass. 3e civ. 28-5-2020 n° 19-14.156 FS-PBI


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Un groupement foncier agricole (GFA) prend à bail des terres viticoles dépendant d’une indivision successorale existant entre un frère et une sœur. Plusieurs instances opposent le frère coindivisaire au GFA sur la détermination du prix du fermage et sur son paiement, ainsi que sur la consistance du vignoble. Un précédent arrêt condamne le GFA à remettre en état une parcelle et ordonne une astreinte. L’indivisaire saisit le juge de l’exécution en liquidation de l’astreinte et en prononcé d’une nouvelle. La cour d’appel déclare ses demandes irrecevables : un indivisaire ne peut effectuer seul les actes d’administration relatifs aux biens indivis que s’il est titulaire d’au moins deux tiers des droits indivis ou s’il bénéficie d’un mandat tacite après avoir pris en main la gestion des biens indivis au su des autres et sans opposition de leur part. Or, le demandeur ne justifie pas de sa qualité à représenter l’indivision successorale constituée entre lui et sa sœur, notamment d’un mandat tacite au sens de l’article 815-3 du Code civil, en vue d’exercer des mesures d’exécution forcée relatives aux biens indivis.

La Haute Juridiction casse la décision des juges du fond au visa de l’article 815-2, alinéa 1 du Code civil. Elle affirme que « l’action engagée, en ce qu’elle avait pour objet la liquidation d’une astreinte prononcée en vue d’assurer la remise en état de biens indivis, constituait un acte conservatoire que tout indivisaire peut accomplir seul ».

À noter : La gestion des biens indivis s’exerce selon des règles en apparence simples. Jusqu’en 2006, elle était dominée par le principe de l’unanimité. Ainsi, les actes d’administration et de disposition requéraient le consentement de tous les indivisaires. La loi 2006-728 du 23 juin 2006 a assoupli ce principe en soumettant les actes d’administration relatifs aux biens indivis qui ressortissent à leur exploitation normale à la majorité des deux tiers des droits indivis. Ainsi, coexistent des actes soumis à l’unanimité, des actes soumis à la majorité qualifiée et des actes pouvant être effectués par un indivisaire seul. L’application de cette partition est plus complexe qu’il n’y paraît car, contrairement au domaine de la cogestion sous le régime de la communauté légale, les actes nécessitant le concours des indivisaires ne sont pas précisés par les textes. Or, de la nature de l’acte dépendent les pouvoirs reconnus à chacun des indivisaires. Dès lors, en présence d’actes soulevant des problèmes de qualification, seule la jurisprudence peut, au cas par cas, clarifier les situations.

Une mesure conservatoire au sens de l’art. 815-2, al. 1 du Code civil est d’abord une mesure nécessaire, destinée à éviter un péril qui menacerait la conservation matérielle ou juridique d’un bien indivis (Cass. 1e civ. 11-6-1996 n° 94-18.382, à propos d’une réfection de toiture ; Cass. 1e civ. 9-7-2014 n° 13-21463 F-PB, à propos de la délivrance d’un commandement de payer). Ensuite, qu’ils soient matériels ou juridiques, les actes conservatoires sont des actes qui ont pour objet la conservation des biens indivis et qui ne peuvent que profiter aux autres membres de l’indivision, sans risquer de leur préjudicier. Notamment, ils ne doivent pas, en principe, représenter un coût disproportionné par rapport à la valeur du bien indivis. Avant 2006, la jurisprudence imposait un caractère d’urgence attaché à l’acte, nécessité par un péril imminent susceptible d’affecter le bien indivis (Cass. 3e civ. 9-10-1996 n° 94-15.783 P : RJDA 12/96 inf. 1516). La loi du 23 juin 2006 a écarté le critère de l’urgence, ne retenant que la nécessité de l’acte.

Traditionnellement, les actions en justice qui sont qualifiées en principe d’actes d’administration, ne peuvent pas être exercées par un indivisaire seul. Toutefois, il est admis qu’une action en justice qui a pour objet de soustraire le bien indivis à un péril quelconque, dès lors qu’elle ne compromet pas sérieusement le droit des indivisaires, peut être qualifiée de mesure conservatoire (Cass. 1e civ. 4-7-2012 n° 10-21.967 F-PBI : BPAT 5/12 inf. 264, concernant une action en expulsion d’occupants sans droit ni titre et en paiement d’une indemnité d’occupation). Ces actes qui garantissent la conservation de l’actif indivis sont d’intérêt commun. Entendus ainsi, ils doivent être encouragés. La jurisprudence tend donc à étendre la qualification d’actes conservatoires. Ces dernières années, elle a ainsi admis qu’entrent dans la catégorie des actes conservatoires :

- une action en revendication d’une servitude de passage au profit d’un fonds indivis (Cass. 3e civ. 4-12-1991 n° 89-19.989 P) ;

- une action en paiement d’une indemnité d’occupation (Cass. 1e civ. 16-9-2014 n° 13-20.079 F-D : RJDA 2/15 inf. 149) ;

- une action en paiement d’une indemnité de résiliation (Cass. 1e civ. 10-9-2015 n° 14-24.690 FS-PB : RJDA 12/15 inf. 876) ;

- ou encore une action en revendication de propriété et en déclaration d’inopposabilité de conventions conclues sans le consentement des coindivisaires (Cass. 3e civ. 24-10-2019 n° 18-20.068 F-PBI : SNH 37/19 inf. 4).

L’action en liquidation d’une astreinte pouvait  susciter des hésitations. En effet, l’astreinte judiciaire qui est une condamnation au paiement d’une somme d’argent par jour, semaine ou mois de retard dans l’exécution d’une obligation ou par infraction constatée, est un moyen de pression d’ordre patrimonial. Par son caractère dissuasif, elle constitue un moyen indirect d’exécution en nature d’une obligation. Mais ce faisant, il ne s’agit nullement d’une mesure d’exécution forcée (Cass. 2e civ. 17-12-1997 n° 96-13.568 : Bull. civ. II n° 319). Elle n’est qu’une mesure comminatoire accessoire à une condamnation à exécution. En l’espèce, la décision judiciaire principale ordonnait la remise en état des terres, mesure incontestablement conservatoire. La Cour de cassation a logiquement décidé que l’action en liquidation de l’astreinte qui l’assortissait, en tant que mesure accessoire de celle-ci, revêtait la même qualification. On tend donc à penser que c’est l’objet de l’action qui justifie son caractère d’acte conservatoire. D’ailleurs, si l’on change son objet, par exemple la réalisation de travaux d’amélioration non exécutés, on voit mal comment l’action en liquidation de l’astreinte pour exécution de ces travaux puisse être qualifiée de mesure conservatoire. Par cet arrêt du 28 mai 2020, la troisième chambre civile s’aligne ainsi sur la première chambre qui avait déjà statué en ce sens (Cass. 1e civ. 23-9-2015 n° 14-19.098 F-PB : D. 2016 pan. p. 1534 obs. D. Noguéro, Loyers et copr. 2015 comm. n° 223 note B. Vial-Pedroletti).

Nicole PETRONI-MAUDIERE, maître de conférences à la Faculté de droit de Limoges, membre du Creop

Pour en savoir plus sur cette question, voir : Mémento Successions Libéralités n° 55395

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