Un père donne à sa fille et son gendre des terres agricoles qui lui appartiennent en propre. Elles font l’objet d’un bail rural à long terme. À son décès, la même – en concours avec ses frères, l’un vivant, l’autre représenté, et leur mère, conjoint survivant donataire universel de l’usufruit – en sollicite l’attribution préférentielle.
La cour d’appel accède à sa demande en pleine propriété compatible, selon elle, avec le droit à usufruit sur l’intégralité des biens de la veuve, l’attribution privative de propriété ne s’opérant qu’à l’issue du partage (C. civ. art. 831 et 833 ; Cass. 1e civ. 11-1-1977 n° 75-13.310 : Bull. civ. I n° 21).
L’arrêt est censuré par la Cour de cassation pour qui, s’il résulte de la combinaison de ces textes que tout héritier copropriétaire en nue-propriété peut demander l’attribution préférentielle par voie de partage, à charge de soulte s’il y a lieu, de toute entreprise agricole à l’exploitation de laquelle il participe ou a participé effectivement, une telle attribution, en tant que modalité du partage, ne peut porter que sur les droits compris dans l’indivision à partager. Dès lors, si l’indivision n’existe qu’en nue-propriété, le copropriétaire en nue-propriété ne peut être admis qu’à solliciter une attribution en nue-propriété.
A noter :
À la question inédite de savoir si le copropriétaire en nue-propriété peut solliciter une attribution préférentielle en pleine propriété, la Haute Juridiction répond par la négative. Elle fait ici application de l’interprétation des articles 831 et 833 du Code civil qu’elle en a retenue, saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité dans cette même affaire et à propos de laquelle elle avait déjà rendu sa décision de non-renvoi au Conseil constitutionnel (Cass. 1e civ. QPC 11-12-2024 n° 24-15.624 F-D).
Pour mémoire, il s’agissait de déterminer si les articles précités, en ce qu’ils permettent une attribution en pleine propriété d’un bien grevé d’un usufruit, sans l’accord de l’usufruitier ni indemnisation de ce dernier, méconnaissent la garantie du droit de propriété et, subsidiairement, sont entachés d’incompétence négative (DDHC 1789 art. 17 et Constitution art. 34). La veuve et le frère à l’origine du pourvoi et de la QPC faisaient valoir que le législateur était resté muet sur les effets et les modalités de l’attribution en nue-propriété autorisée depuis la loi 70-1265 du 23 décembre 1970 et reprise par celle 2006-728 du 23 juin 2006 (C. civ. art. 833, al. 1 et 832-3 ancien).
Deux interprétations des textes étaient possibles : celle retenue par les juges du fond selon laquelle une demande d’attribution préférentielle formée par un copropriétaire en nue-propriété aurait pour effet son allotissement, dans le partage à intervenir, de la pleine propriété des biens qui en sont l’objet ; celle en faveur d’une limitation de ces effets à une attribution de la seule nue-propriété des biens qui en sont l’objet, qui a finalement eu la préférence de la Cour de cassation.
Comme le mentionne le rapport du conseiller référendaire, plusieurs arguments militaient pour cette seconde interprétation :
il ne saurait être question d’une attribution que dans un partage. Si donc l’indivision n’existe qu’en nue-propriété, le demandeur ne devrait pouvoir obtenir qu’une attribution en nue-propriété (M. Vion, Les bénéficiaires de l’attribution préférentielle après la loi 70-1265 du 23 décembre 1970 et la loi 72-3 du 3 janvier 1972 : Defrénois 1972 art. 30214 p. 1425 n° 9 ; R. Bour, L’extension du bénéfice de l’attribution préférentielle – privilège ou spoliation : Gaz. Pal. 1971, doctrine, p. 265) ;
une attribution préférentielle en pleine propriété, privant l’usufruitier de son droit, ne peut se concevoir qu’à charge d’indemnisation de ce dernier, ce que la loi ne prévoit pas (R. Jambu-Merlin : Droit civil. Les successions. Licence, Les cours de droit, Paris 1980-1981, fascicule II, p. 404). Le jeu classique des soultes en matière de partage n’y peut porter remède ;
une attribution préférentielle en pleine propriété devrait impliquer le consentement de l’usufruitier, en cohérence avec le droit commun de l’usufruit (C. civ. art. 621, al. 2) ;
admettre une attribution préférentielle en pleine propriété d’un bien indivis pour la seule nue-propriété, à la demande d’un coïndivisaire de la nue-propriété, pourrait, lorsque l’usufruitier tient ses droits d’une libéralité à cause de mort, avoir pour conséquence de faire obstacle à la volonté du de cujus (Cass. 3e civ. 10-7-2013 n° 12-16.698 FS-D : RJDA 12/13 n° 1059, qui vaut reconnaissance implicite qu’une donation de l’usufruit de tous les biens de sa succession, consentie par un époux à son conjoint survivant, ne manifeste pas sa volonté d’exclure une demande d’attribution préférentielle formée contre ce dernier) ;
l’attribution préférentielle est un dispositif faisant exception au droit commun du partage qui demeure gouverné par son caractère aléatoire (Cass. 1e civ. 13-1-2016 n° 14-29.651 F-PB : BPAT 2/16 inf. 76). L’interprétation doit donc en être stricte. Or, le texte ne prévoit pas expressément la remise en cause du droit de jouissance de l’usufruitier (C. civ. art. 833).
Ce qu’il faut donc désormais retenir, c’est que l'attribution préférentielle, en tant que modalité du partage, ne peut porter que sur les droits compris dans l'indivision à partager. Dès lors, si l'indivision n'existe qu'en nue-propriété, le copropriétaire en nue-propriété ne peut être admis, en application de l'article 833, alinéa 1 du Code civil, qu'à solliciter une attribution en nue-propriété.