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La médiation au service de la performance des entreprises

En permettant aux parties de remettre leurs intérêts et leurs besoins en perspective, la médiation leur permet souvent de trouver un accord « gagnant-gagnant ». Evoquant quatre médiations avec de forts enjeux financiers et internationaux, Claude Amar montre comment cet outil peut servir la performance des entreprises.


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©Gettyimages

« Echec de la médiation » ?

On parle beaucoup d'échec de la médiation lorsque celle-ci n'a pas abouti à un accord. C'est une erreur : le succès d'une médiation c'est de ramener les parties, qui ne se parlent plus, dans la même salle. L'accord est l'affaire des parties sinon il n'est plus possible de parler de neutralité du médiateur.

Et ce d'autant plus qu'à de nombreuses reprises, les parties trouvent un accord après la médiation parce qu'elles ont eu l'occasion de remettre leurs intérêts et leurs besoins en perspective.

Décider d’entrer en médiation dans le but de trouver un accord apaisé n’est pas un aveu de faiblesse, mais une preuve de courage et d’intelligence qui prend en compte les intérêts de l’entreprise.

Voici quatre exemples de ce fameux « win-win ».

Prêt à porter Japonais

Il s’agissait d’une médiation judiciaire internationale entre un bailleur et son preneur, portant sur le renouvellement du bail d’un local commercial, que m’avait confiée un centre de médiation. Je m’étonnais du caractère international s’agissant de deux sociétés domiciliées à Paris. Le preneur était japonais, créateur de prêt-à-porter, et ne parlait pas français. Il louait ce local commercial à Paris 6ème, dont le bail avait expiré et pour lequel il avait refusé toute augmentation de loyer, y compris l'application de l'indice, au prétexte que la bailleresse, décédée récemment, lui aurait dit que « son loyer n’augmenterait pas puisqu’il avait fait des travaux d’aménagement ».

Les bailleresses étaient deux sœurs, héritières de leur mère, ne parlant pas anglais et ne communiquant plus entre elles que par leur avocat, unique, interposé. Elles étaient prêtes à renouveler le bail mais avec une augmentation de 12.000 € par an, ce que le preneur refusait. En effet, ce monsieur était assis, les pieds, les genoux et les mains serrées, et disait non, en regardant ses lacets, quelle que soit la proposition.

Je fais peu d'aparté, toutefois j'ai ressenti le besoin du preneur de me parler. Nous allons donc, lui, son conseil et moi, dans un bureau voisin et, sans attendre, debout face à moi, il me dit : « à vous, je peux faire confiance ». Je ressens un grand coup de poing dans le ventre, dévie mon regard de quelques degrés vers les yeux de son avocate qui acquiesce d’un signe de tête et quitte le bureau. Il m'avoue un exercice déficitaire et le besoin de renouveler le bail afin de pouvoir vendre son fonds de commerce de manière à rembourser sa famille et ses amis, à qui il avait emprunté trois cent mille euros avant de s’installer à Paris (et éviter de se faire « hara-kiri »).

Les bailleresses, consultées en aparté et informées de ce que le preneur est susceptible de céder son fonds de commerce rapidement, acceptent le principe d’un nouveau bail sans augmentation de loyer durant les six premiers mois puis au nouveau loyer (+ 1.000 €/mois) pendant la durée du bail.

De retour en réunion plénière, les parties s’accordent, par mon intermédiaire pour des besoins de traduction français-anglais et anglais-français, sur (i) une valeur probable de ce fonds de trois cent mille euros, (ii) le fait que chaque partie allait donner mandat (avec les approbations nécessaires) à deux agences chacune, (iii) la cession automatique du fonds au client de l’agence qui offrirait trois cent mille euros ou plus le premier.

Pour remercier les bailleresses, le preneur accepte le principe de partager avec les bailleresses l’éventuel montant en excès de l'évaluation commune du fonds.

Le fonds a été vendu en trois semaines, 150.000 € au-dessus de la valeur fixée, soit un gain de 69.000 € (75.000 € - 6.000 €) pour les bailleresses et 75.000 € pour le preneur.

Culture et contrat 

L’ICC, Chambre de Commerce Internationale, m’a confié une médiation internationale entre un investisseur nord-africain et une société de gestion hôtelière asiatique. Je devais louer trois salles de réunion et prévoir ma présence durant cinq jours, durée de la médiation fixée par les parties.
Trois salles ? Oui, une par partie et une pour le médiateur… Je fais peu d’aparté et pas de shuttle mediation ! Alors, j’ai loué deux salles (je serai toujours avec au moins l’une des parties, non ?) et j’ai bloqué mon agenda du lundi au vendredi. Ils devaient être six, deux d’un côté sans conseils, et quatre de l’autre, deux parties et deux conseils. L’idée m’a traversé de réserver huit places (j’avais une co-médiatrice), dans un restaurant pour le déjeuner tous les jours… Je ne l’ai pas fait : grand bien m’a pris !

Lundi matin, je les reçois en plénière. Ils ne s’aimaient pas, mais alors pas du tout. Heureusement, je m’étais cassé la cheville quatre semaines plus tôt et me déplaçais, plâtré, avec difficulté, sur des béquilles, ce qui a permis de ramener un peu d’humanité (de commisération en fait) dans la salle.

Le plaignant, une chaîne hôtelière asiatique, devait gérer un hôtel cinq étoiles, que le défendeur, un investisseur nord-africain, devait développer dans son pays. Leurs intérêts étaient parfaitement alignés, la chaîne asiatique jouissant d’une excellente réputation et ayant besoin de sortir de ses frontières, le propriétaire ayant quant à lui besoin d’une telle image de qualité tant pour l’hôtellerie que pour les soins ainsi que d’une gestion précise et professionnelle. Il leur avait fallu néanmoins trois ans pour conclure ce contrat, les uns étant probablement plus exigeants que les autres quant à la description détaillée des obligations de chacun. Le développement étant prévu sur une durée longue, trois ans au moins, ce contrat prévoyait, entre autres, une clause de dédit de 5 millions d’euros en faveur du gestionnaire, en cas d’abandon du projet.

Le printemps arabe, qui avait ramené à presque rien la fréquentation des hôtels, en Afrique du Nord avait conduit l'investisseur à décider de l’abandon du projet, juste avant le début des travaux, sans en discuter avec son gestionnaire, considérant sa décision comme pleinement justifiée.

En conséquence, le gestionnaire, arguant de ce que son programme de gestion (positionnement, ventes, marketing, direction, restauration, …), avait débuté en vue d’une ouverture prévue dix-huit mois plus tard, avait réclamé le paiement du dédit.

Dès la fin de la première matinée, l’agressivité des uns et des autres n’ayant pas baissé, je décide de les rencontrer séparément après le déjeuner et les en informe.

C’était, pour moi, une véritable première expérience de l’aparté, aparté que mon maître, Gary Friedman, avait toujours refusé. « A quoi me sert-il d’entendre quelque chose que je ne pourrai pas utiliser ? » Et il avait raison, ô combien ! « Prends des notes, n’oublie rien, pense à demander ce que tu peux répéter et ce que tu ne peux pas… » Et ces navettes n’avaient finalement pas réduit l’agressivité, chacun s’en tenant à sa thèse.
Après trois jours à « béquiller » d’une salle à l’autre - ils avaient chacun la leur afin de pouvoir travailler quand je n’étais pas avec eux-, il m’est devenu évident que leur différence était ailleurs que le problème posé sur la table. Cette différence était essentiellement culturelle et liée à la valeur que chacun accordait au contrat, fonction des évènements extérieurs pour les uns, applicable quelles que soient les raisons pour les autres.

Les conseils du propriétaire nous ont quittés au soir du troisième jour, nous restions avec les parties.

Après deux apartés matinaux et le déjeuner, je les ai ramenés dans la même salle. Passée la surprise, ils ne se détestaient plus ; c’est moi qu’ils haïssaient, tous ! Le médiateur a cette chance de ne plus craindre le silence, même lorsqu’il dure. Ils se sont détendus, doucement, et j’ai pu, avec infiniment de respect, partager cette évidence avec eux. Après un long silence, le sourire est revenu, d’abord d’un côté de la table puis de l’autre, et les asiatiques ont dit que j’avais raison, ce qui a été confirmé par les autres immédiatement. Ceci a permis de restaurer le respect et, aussi, m’a permis d’ouvrir une discussion dont le but était de trouver une solution satisfaisante pour les deux parties, la reprise des travaux n’étant pas une option, en tous cas pas à court terme. Chacun est rentré chez lui afin de travailler sur une proposition qui consistait pour l'investisseur à confier la gestion de plusieurs de ses hôtels existants, mal gérés, à la société asiatique et à celle-ci de devenir numéro 1 de la région, ce qui a été concrétisé en moins d’un mois.

Taxe carbone

Trois géants, leaders mondiaux de leur industrie, avaient contracté une alliance stratégique basée sur l'application de la taxe carbone, laquelle n'a pas été appliquée, créant ainsi l'effet inverse de celui escompté pour les trois entreprises durant cinq ans. Ayant décidé d’ignorer la clause contractuelle de médiation préalable, le Tribunal de commerce les y a enjoints.

Ils étaient seize (cinq, cinq et six) avec des valises et arrivant de plusieurs provenances. Ils voulaient en découdre et m’ont d’abord expliqué qu’il n’y avait aucune chance de parvenir à une solution et qu’ils n’étaient venus que pour obéir au juge.

Aussi les ai-je interrogés quant au besoin de venir si nombreux alors qu’il eut suffi que l’un d’entre eux me fasse part de son refus pour « cocher la case ». J’ai ajouté qu’en l’état : (i) j’avais touché une sérieuse provision que je ne souhaitais pas rembourser, (ii) j’avais réservé cette (grande) salle pour toute la journée et (iii) j’avais commandé dix-sept plateaux-repas qu’il n’était pas question de jeter !

Les sourires sont revenus et j’avais pris la main.

Je leur ai fait part de ma surprise quant au fait que le contrat les liant n’ait pas prévu le cas de non-application de cette taxe et je leur ai proposé de profiter du temps de la médiation pour réécrire leurs contrats (i) avec l'application de la taxe carbone (déjà fait) et (ii) sans son application. Ceci a nécessité trois journées complètes en plénière, avec les valises et les plateaux-repas (ils étaient très bons !). Durant la dernière journée, nous avons pu estimer l'état des facturations sur les cinq années passées dans le cas de la non-application de la taxe carbone. Ces résultats ont conforté l'alliance et l'application des nouveaux contrats leur a ainsi ouvert un marché qu’ils estimaient autour de 25 milliards d’euros.

Marge bénéficiaire contre marge bénéficiaire

Lorsque je reçois l’ordonnance me désignant, dans cette médiation judiciaire, je m’aperçois que j’ai travaillé avec les deux parties dans mon activité de développement hôtelier. Je connais aussi, très bien, les deux conseils que je m’empresse d’appeler pour vérifier qu’ils ont bien conscience que c’est de moi dont il s’agit. Ils me rassurent en me disant qu’ils avaient trouvé tous deux intéressant que je connaisse les parties et les lieux du différend, opposant bailleur et preneur d’un bel hôtel parisien. Je m’empresse d’informer le juge de la situation.

Le différend portait sur le montant du loyer tel que convenu entre bailleur et preneur antérieurement à la rénovation de l’hôtel, rénovation financée par les deux parties selon une répartition complexe qui avait été l’objet de ma mission, quinze ans plus tôt. Dès la réouverture de l’hôtel, les projections du preneur, exploitant, se sont avérées très optimistes et celui-ci n’a eu de cesse que d’obtenir une baisse, significative, du loyer, laquelle a été acceptée après des mois de discussion par le bailleur. La société preneuse a néanmoins été placée en redressement judiciaire et reprise par un autre professionnel, plus aguerri. La période « covid » a amené ce dernier à formuler une nouvelle demande de baisse du loyer que le bailleur a catégoriquement refusée.

C’est à ce moment-là que je les reçois. Le preneur explique que, malgré la forte reprise du marché parisien depuis la fin de la crise sanitaire, son taux d’effort est insupportable. Le bailleur, quant à lui, rappelle la baisse déjà consentie et insiste sur le fait que le loyer actuel est en-dessous d’un loyer de marché, nonobstant sa participation importante aux travaux passés. Il ajoute que son refus est définitif. Blocage !

Ma co-médiatrice et moi changeons de sujet et posons des questions sur les résultats opérationnels dans l’espoir de trouver une piste d’amélioration.

Le preneur rappelle la configuration de l’immeuble : 4 étages de restauration et banquets, 4 étages de chambres et 2 étages de bureaux occupés par une filiale du bailleur (pas dans l’assiette locative).

Le preneur ajoute que si l’activité chambres, qui dégage un profit de 80%, a effectivement bien repris, l’activité restauration et banquets, quant à elle, peine à redémarrer. Interrogé sur le taux de profit de cette activité, le preneur nous répond qu’elle dégage, au mieux, 15%...

Les médiateurs : « avez-vous considéré l’impact de la transformation de deux étages de restauration et banquets en chambres ? Ceci, en théorie pourrait conduire à une augmentation de votre revenu d’exploitation d’environ 30%, sans augmentation de loyer. »
Le preneur regarde son conseil et opine.

Le bailleur, quant à lui, dit que dans ce cas, s’agissant de travaux structurels, il est prêt à en assurer la charge, hors mobilier et équipements opérationnels, sans augmentation du loyer et, ajoute-t-il, il pourrait envisager également de libérer les deux derniers étages (bureaux), les convertir en chambres et les ajouter à l’assiette locative pour un loyer homothétique.

Seule la médiation permet une telle sortie par le haut.

Diplomé des Beaux-Arts de Paris et de Harvard, Claude Amar est architecte, développeur hôtelier et investisseur immobilier. Il est également médiateur certifié par plusieurs organisations, en France et dans le monde entier. En sa qualité de médiateur agréé il est régulièrement désigné par les cours d'appel pour résoudre des différends commerciaux et industriels.

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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