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Les mesures de la loi Climat ayant une incidence en droit des sociétés

Nouveau droit de préemption en cas d’apport de biens situés dans une zone exposée à l’érosion du littoral, renforcement du contenu de la déclaration de performance extra-financière pour les sociétés faisant appel à des transporteurs et du contenu pour plan de vigilance pour celles opérant dans le domaine forestier, responsabilité des sociétés mères à raison des dommages miniers causés par leurs filiales… La loi Climat n’épargne pas le droit des sociétés.

Loi 2021-1104 du 22-8-2021 art. 35, II-5° et III-6°, 65, I-5°, 138, 244, 273 : JO 24 texte n° 1, rectificatif JO 4-9 texte n° 2


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©iStock

La loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique comporte peu de mesures en droit des sociétés, mais certaines de ses dispositions ont une incidence en la matière.

Nouveau droit de préemption pour les apports en société et les cessions de droits sociaux

On le sait, l'apport en société d’un bien immobilier peut faire l'objet d'un droit de préemption au profit de collectivités territoriales ou de certains organismes. Tel est le cas, notamment, lorsque ce bien est situé dans le territoire d'une commune titulaire d'un droit de préemption urbain (C. urb. art. L 211-1 s.), dans une zone d'aménagement différé (ZAD) ou dans un périmètre provisoire de ZAD (C. urb. art. L 212-1 s.).

L’article 244 de la loi de lutte contre le dérèglement climatique institue un nouveau droit de préemption au profit des communes et intercommunalités, en intégrant dans le Code de l’urbanisme un chapitre, intitulé « Droit de préemption pour l’adaptation des territoires au recul du trait de côte » (C. urb. art. L 219-1 s. nouveaux). L’objectif est de permettre aux communes d’acquérir les terrains et les biens destinés à disparaître (Rapport AN n° 3995 p. 398).

L’entrée en vigueur de ce droit est subordonnée à la publication de décrets.

Ce droit de préemption s’appliquera aux opérations suivantes :

  • l’aliénation à titre onéreux – et donc l’apport en société – d’un immeuble ou partie d’immeuble (bâti ou non) situé dans une zone exposée au recul du trait de côte, c’est-à-dire à l’érosion du littoral ;

  • l’apport en société de droits sociaux donnant vocation à l’attribution en propriété ou en jouissance d’un tel immeuble ou partie d’immeuble, ainsi que la cession de ces droits sociaux ;

  • la cession de la majorité des parts d’une société civile immobilière (SCI) lorsque le patrimoine social est constitué d’une unité foncière bâtie ou non dont la cession relèverait elle-même du droit de préemption relatif au recul du trait de côte. Il en ira de même de la cession de parts conduisant l’acquéreur à détenir la majorité des parts d’une telle SCI. Cette disposition ne concernera toutefois pas les SCI constituées exclusivement entre parents et alliés jusqu'au quatrième degré inclus, c'est-à-dire jusqu'aux cousins germains.

En incluant les cessions qui conduisent l'acquéreur à détenir la majorité des parts, la loi vise le cas de plusieurs cessions consenties successivement au même acquéreur (qu'il soit tiers ou déjà associé). Est aussi visée l'hypothèse de la cession entre associés qui permet à l'un d'eux de détenir la majorité. A la lettre, la cession d'une seule part de la SCI pourrait donc donner lieu à préemption.

Echapperont à ce nouveau droit de préemption les immeubles compris dans un plan de cession arrêté par un tribunal dans le cadre du redressement ou de la liquidation judiciaire de l’entreprise propriétaire de l’immeuble.

Le nouvel article L 219-6 du Code de l’urbanisme décrit la procédure de préemption. Notamment, dans les zones où s’appliquera le droit de préemption, toute aliénation sera subordonnée, à peine de nullité, à une déclaration préalable adressée par le propriétaire à la commune où est situé le bien, qui comportera l'indication du prix et des conditions de l'aliénation projetée.

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Responsabilité de la société mère pour dommage minier de sa filiale 

Une société explorant ou exploitant une mine est, on le rappelle, responsable des dommages causés par son activité (C. minier art. L 155-3). Elle est également soumise à une procédure d’arrêt des travaux en cas de cessation d’exploitation ou de fin de tranche de travaux, incluant la mise en œuvre de mesures permettant de faire cesser les nuisances engendrées par l’activité minière et de préserver la salubrité publique, la solidité des édifices, la protection des espaces naturels, ainsi que divers autres intérêts définis par la loi (C. minier art. L 163-1 s.).

Transposant une mesure applicable aux installations classées pour la protection de l’environnement (C. envir. art. L 512-17), la loi Climat permet de rechercher la responsabilité des sociétés au sein des groupes de sociétés afin que soient mis à leur charge les frais de remise en état.

Ainsi, depuis le 25 août 2021, la société mère (c’est-à-dire possédant plus de la moitié du capital) d’une société exploitant ou explorant une mine peut être condamnée, en cas de liquidation judiciaire de celle-ci, à financer tout ou partie des mesures d’arrêt des travaux des sites en fin d’activité ou des mesures nécessaires à la réparation des dommages causés par l’activité minière, s’il est établi à son encontre une faute caractérisée ayant contribué à une insuffisance d’actif de la filiale. La demande doit être présentée par le liquidateur, le ministère public ou le préfet de département devant le tribunal ayant ouvert ou prononcé la liquidation judiciaire (C. minier art. 171-3 nouveau ; Loi Climat art 65, I-5°).

Si la société mère est condamnée mais qu'elle n'est pas en mesure de financer ces mesures, l’action en justice peut être engagée contre la société détenant plus de la moitié du capital de celle-ci (société grand-mère) ou encore, si cette dernière ne peut pas non plus les prendre en charge, contre sa propre société mère (société arrière-grand-mère) (art. précités).

La loi limitant la chaîne des responsabilités à la société mère de « 3e niveau », aucun recours n'est ouvert si cette dernière est elle aussi dans l'impossibilité d'exécuter la condamnation prononcée contre elle.

Prise en compte de la pollution indirecte due au transport dans la performance extra-financière 

Certaines sociétés de grande taille doivent, on le rappelle, intégrer dans leur rapport de gestion annuel une déclaration de performance extra-financière (C. com. art. L 225-102-1, I, L 22-10-36, L 226-1).

Sont concernées les sociétés anonymes et sociétés en commandite par actions dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé et dont le total de bilan excède 20 millions d'euros ou dont le chiffre d'affaires net excède 40 millions d'euros et qui emploient un nombre moyen de salariés permanents supérieur à 500, ainsi que celles dont les titres ne sont pas admis aux négociations sur un marché réglementé mais dont le total de bilan ou le chiffre d'affaires net excède 100 millions d'euros et dont le nombre moyen de salariés permanents est supérieur à 500. Les sociétés qui établissent des comptes consolidés doivent également établir une déclaration de performance extra-financière lorsque l’ensemble des sociétés incluses dans le périmètre de consolidation excède ces seuils (C. com. art. L 225-102-1, L 22-10-36, L 226-1, R 225-104 et R 22-10-29). Environ 3 800 entreprises sont actuellement soumises à cette obligation (Etude d’impact p. 290).

La déclaration de performance extra-financière doit actuellement présenter des informations sur la manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité, dans la mesure nécessaire à la compréhension de sa situation, de l’évolution de ses affaires, de ses résultats économiques et financiers et des incidences de son activité. La déclaration doit comprendre notamment des informations relatives aux conséquences sur le changement climatique de l’activité de la société et de l’usage des biens et services qu’elle produit (C. com. art. L 225-102-1, III-al. 1 et 2, sur renvoi de l’art. L 22-10-36, al. 2 pour les sociétés cotées). Lorsque ces informations sont pertinentes, elle doit en particulier présenter les postes significatifs d'émissions de gaz à effet de serre générées du fait de l'activité de la société, les objectifs de réduction fixés volontairement à moyen et long terme pour réduire ces émissions et les moyens mis en œuvre à cet effet (C. com. art. R 225-105, II-A 2°-d).

La loi Climat complète le contenu de la déclaration de performance extra-financière afin de responsabiliser les « chargeurs » : pour les exercices ouverts à compter du 1er juillet 2022, la déclaration devra inclure des informations relatives aux postes d’émissions directes et indirectes de gaz à effet de serre liées aux activités de transport amont et aval de l’activité ainsi qu’un plan d’action visant à réduire ces émissions, notamment par le recours aux modes ferroviaire et fluvial ainsi qu’aux biocarburants dont le bilan énergétique et carbone est vertueux et à l’électromobilité (C. com. art. L 225-102-1 modifié ; Loi art. 138, I et III).

L’objectif de la mesure est de généraliser l’obligation de prendre en compte les émissions de gaz à effet de serre en la faisant désormais peser sur les « chargeurs» (c’est-à-dire ceux qui commandent, pour leur activité, des prestations de transport à des transporteurs ou à des commissionnaires de transport) et non plus seulement, comme c’est le cas actuellement, sur les entreprises rendant des services de transport et autres sociétés pour lesquelles ce poste d’émission est significatif. La mesure vise à mettre en œuvre la proposition SD-B1.6 de la Convention citoyenne pour le climat (version du 29-1-2021), qui préconise d’obliger les chargeurs à intégrer des clauses environnementales ; plus généralement, elle a pour but de réduire les émissions nationales de gaz à effet de serre, le secteur du transport représentant 30 % de ces émissions (Etude d’impact p. 285).

Le contenu des plans d’action à établir, en particulier les objectifs de réduction d’émission et le suivi au moyen d’indicateurs, sera fixé par un décret à paraître. Ces plans seraient envisagés sur l’exemple de ceux qui sont actuellement établis sur base volontaire par certaines entreprises chargeurs au sein du programme d’engagement volontaire de réduction des émissions porté par l’Agence de la transition écologique (Etude d’impact p. 285 s.).

Rappelons que la déclaration de performance extra-financière doit être mise à la disposition du public et rendue aisément accessible sur le site internet de la société dans un délai de huit mois à compter de la clôture de l’exercice et pendant cinq ans (C. com. art. L 225-102-1 et R 225-105-1). Tout intéressé peut demander en justice d’enjoindre sous astreinte à la société de communiquer les informations à mentionner dans la déclaration si elles ne figurent pas dans le rapport de gestion (C. com. art. L 225-102-1, V et art. L 22-10-36, al. 3). En outre, les sociétés les plus importantes, c’est-à-dire celles dont le total de bilan ou le chiffre d’affaires net excède 100 millions d’euros et dont le nombre de salariés est supérieur à 500, doivent faire vérifier les informations de la déclaration de performance extra-financière par un organisme indépendant dont l’avis est transmis aux actionnaires (C. com. art. L 225-102-1, V, L 22-10-36 et R 225-105-2, II).

Elargissement du devoir de vigilance des grandes entreprises à la déforestation importée

Les sociétés employant, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins 5 000 salariés en leur sein et dans leurs filiales françaises directes ou indirectes ou au moins 10 000 salariés en leur sein et dans leurs filiales françaises et étrangères directes ou indirectes doivent établir un plan de vigilance. Ce plan et un compte rendu de sa mise en œuvre effective doivent être inclus dans le rapport de gestion annuel de ces sociétés et publiés (C. com. art. L 225-102-4, I-al. 1 et 10).

Le plan de vigilance doit comporter les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement résultant de l’activité de la société et des sociétés qu’elle contrôle directement ou indirectement, ainsi que des activités des sous-traitants et fournisseurs avec qui elle entretient une relation commerciale établie, lorsque les activités sont rattachées à cette relation (C. com. art L 225-102-4, I-al. 3).

A compter du 1er janvier 2024, le plan de vigilance des sociétés produisant ou commercialisant des produits issus de l’exploitation agricole ou forestière devra en outre comporter des mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir la déforestation associée à la production et au transport vers la France de biens et de services importés. Les catégories de sociétés concernées seront fixées par un arrêté (C. com. art. L 225-102-4 modifié ; Loi art. 273).

Cette mesure fait partie d’un dispositif plus général de lutte contre la déforestation importée, entendue comme « l’importation de matières premières ou de produits transformés dont la production a contribué, directement ou indirectement, à la déforestation, à la dégradation des forêts ou à la conversion d’écosystèmes naturels en dehors du territoire national » (Rapport AN n° 3995 p. 446). Ce dispositif comprend notamment la mise en œuvre par l’Etat d’une stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée (adoptée le 14 novembre 2018), que la loi de lutte contre le dérèglement climatique consacre dans le Code de l’environnement (C. envir. art. L 110-6 nouveau ; Loi art. 270). La prise en compte de la déforestation importée dans le devoir de vigilance des sociétés s’inscrit dans le cadre de l’objectif 11 de cette stratégie.

Rappelons que le plan de vigilance a vocation à être élaboré en association avec les parties prenantes de la société et qu’il doit comprendre notamment une cartographie des risques, des procédures d’évaluation régulières de la situation de ses filiales, ses sous-traitants et ses fournisseurs, des actions adaptées d’atténuation des risques, un mécanisme d’alerte et un dispositif de suivi des mesures mises en œuvre et d’évaluation de leur efficacité (C. com. art. L 225-102-4, I-al. 5 s.).

La portée de cet élargissement du devoir de vigilance sera renforcée par les nouvelles mesures que la loi nouvelle introduit en cas de non-respect par une société de ses obligations (voir n° 22).

Exclusion des contrats de la commande publique en cas de non-respect du devoir de vigilance

On le sait, une société tenue d’établir et de mettre en œuvre un plan de vigilance (n° 16) qui n’exécute pas ses obligations peut être mise en demeure de s’y conformer ; si elle ne satisfait pas à cette mise en demeure dans un délai de trois mois, la juridiction compétente peut lui enjoindre de respecter ses obligations, le cas échéant sous astreinte, à la demande de toute personne justifiant d’un intérêt à agir (C. com. art. L 225-102-4, II). Le manquement au devoir de vigilance engage également la responsabilité extracontractuelle de la société et l’oblige à réparer le préjudice que l’exécution de ses obligations aurait permis d’éviter (C. com. art. L 225-102-5).

La loi Climat attache une nouvelle conséquence au non-respect de l’obligation d’établir un plan de vigilance. En effet, une société qui n’est pas en mesure de présenter un plan de vigilance dûment réalisé pour l’année qui précède l’année de publication de l’avis d’appel à la concurrence (ou d’engagement de la consultation) d’un marché public ou d’un contrat de concession pourra être exclue de la procédure de passation d’un tel marché ou contrat par l’acheteur ou l’autorité concédante (CCP art. L 2141-7-1 et L 3123-7-1 nouveaux ; Loi Climat art. 35, II-5° et III-6°).

Cette mesure entrera en vigueur à compter d’une date fixée par décret et au plus tard cinq ans à compter de la promulgation de la loi (soit au plus tard le 22 août 2026), étant précisé qu’elle ne s’appliquera qu’aux marchés publics et concessions pour lesquels une consultation est engagée ou un avis d’appel à la concurrence est envoyé à la publication après cette date (Loi Climat art. 35, IV et V).

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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