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Quand la pratique du « crowdmarketing » n'est pas constitutive de travail dissimulé

La pratique dite du « crowdmarketing », consistant pour une société à confier à des particuliers, par l'intermédiaire d'une plateforme numérique, des missions de collecte de données sur leur habitudes de consommation, n’est pas constitutive de travail dissimulé faute d’exécuter une prestation de travail sous un lien de subordination.

Cass. crim. 5-4-2022 n° 20-81.775 FS-B


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©Gettyimages

La définition du « crowdmarketing » 

La chambre criminelle de la Cour de cassation s'est prononcée pour la première fois sur la légalité, au regard du droit pénal du travail, de la pratique dite du « crowdmarketing », c’est-à-dire le recours par une société à des particuliers auxquels elle va confier, par l'intermédiaire d'une plateforme numérique, des missions consistant à collecter dans la rue ou dans des commerces, contre une rémunération en euros, des données commerciales, qui seront ensuite agrégées par la société et revendues à des enseignes nationales.

Cette problématique dépasse largement celles auxquelles la Cour de cassation est confrontée depuis ces dernières années, sur le contentieux des travailleurs de plateforme de livraison ou de mobilité : alors que s’agissant de ces derniers, nul ne conteste que ceux-ci exercent un « travail », au sens d’activité professionnelle, il en va tout autrement s’agissant des internautes qui, pour des raisons diverses (par amusement, par défi, pour « de l’argent de poche » ou pour un complément de revenu), s’inscrivent sur ces applications pour exécuter des missions consistant par exemple à se faire passer pour un client dans un commerce ou à vérifier la bonne mise en place d’opérations promotionnelles dans une grande surface.

La difficulté de caractérisation de l'activité des clicwalkers au regard du droit du travail

L’arrêt émane de la chambre criminelle, puisqu’il était ici question des poursuites pénales pour travail dissimulé, mais la consultation de la chambre sociale pour avis témoigne de la difficulté, au regard de la définition classique du contrat de travail, de qualifier l’activité de ceux que la décision nomme « clicwalkers ».

La  définition du contrat de travail renvoie à l’exercice d’une prestation de travail, dans un lien de subordination, et contre rémunération.

En l'espèce, la cour d’appel de Paris avait, pour déclarer la société coupable de travail dissimulé, relevé l’existence d’un tel lien, en ce que les missions confiées aux clicwalkers ainsi que les consignes et directives pour les exécuter pouvaient être très précises, que la société contrôlait la bonne exécution de la prestation, que ce contrôle s'accompagnait d'un pouvoir de sanction puisque si la mission était rejetée, celui qui l'avait exécutée n’était pas rémunéré et ses frais n’étaient pas remboursés, et que la mauvaise exécution répétée des missions avait entraîné la clôture du compte de certains utilisateurs.

La chambre criminelle, pour casser l’arrêt de la cour d’appel, reprend les termes de la réponse de la chambre sociale à la demande d’avis (Avis Cass. soc. 15-12-2021 n° 21-70.017 FP-D), et retient que n'exécute pas une prestation de travail sous un lien de subordination le particulier qui accepte, par l'intermédiaire d'une plateforme numérique gérée par une société, d'exécuter des missions consistant pour un particulier à fournir des informations sur leurs habitudes de consommation, à émettre un avis ou prendre des photographies sur les supports de communication des clients ou enfin à vérifier dans les magasins la présence, le prix et la visibilité des produits, les supports commerciaux ou la qualité des prestations de service des entreprises clientes de la société, dès lors qu'il est libre d'abandonner en cours d'exécution les missions proposées, qu'il ne reçoit aucune instruction ou consigne lors de leur exécution, que la société ne dispose pas, pendant l'exécution de la mission, du pouvoir de contrôler l'exécution de ses directives et d'en sanctionner les manquements, quand bien même la correcte exécution des missions est l'objet d'une vérification par la société qui peut refuser de verser la rémunération prévue et le remboursement des frais engagés, en cas d'exécution non conforme.

Cette réponse, qui englobe l’ensemble des circonstances de fait de l’espèce, ne permet pas de tirer une conclusion de principe sur le statut, au regard du droit du travail, des internautes qui prêtent leur concours à des sociétés de crowdmarketing.

La faiblesse de la rémunération, critère insuffisant pour écarter la qualification de contrat de travail

Un autre argument à l’appui de la cassation sollicitée tenait également à la faiblesse de la rémunération perçue par les clicwalkers, de l’ordre de quelques euros par mission.

Cependant, la chambre sociale retient de manière constante que le seul critère déterminant de l’existence d’un contrat de travail réside dans l’existence d’un lien de subordination. La faiblesse, voire l’absence de toute rémunération ne suffit pas à écarter la qualification de contrat de travail.

L'existence d'une prestation de travail, un critère lié à l'existence d'un lien de subordination

Beaucoup plus prégnantes, étaient les critiques tenant, d’une part, à l’absence d'une prestation de travail, au sens, selon le pourvoi, « d’activité exercée de manière habituelle ou régulière afin d'en tirer des revenus », les missions proposées, faiblement rémunératrices, s’adressant à des consommateurs et non à des professionnels, et d’autre part, à l’absence de directives et de contrôle au cours de l’exécution de la mission. La chambre sociale, lorsqu’elle traite du contentieux de l’existence du contrat de travail, n’a que rarement l’occasion de se prononcer sur l’élément constitutif tenant à l’existence d’une prestation de travail, cette qualification n’étant, de fait, quasiment jamais contestée. Il ressort toutefois de la motivation des arrêts rendus à l’occasion du contentieux relatif au statut des participants d’émissions de téléréalité (Cass. soc. 3 juin 2009 n° 08-41.712 ; Cass. soc. 25-6-2013 n° 12-13.968 FS-PB), que la frontière entre l’appréciation, d’une part, d’une prestation de travail, et d’autre part, d’un lien de subordination, est poreuse : c’est d’ailleurs bien souvent parce qu’une activité, qui peut relever de la vie personnelle, est exécutée sous la subordination d’un tiers et contre une rémunération, qu’elle devient professionnelle.

L'existence d'un lien de subordination, critère déterminant de la qualification d'un contrat de travail

S’agissant des pouvoirs de direction, contrôle et sanction caractérisant le lien de subordination, la délivrance d’instructions pour la réalisation du travail et le non-versement de la rémunération prévue en cas de non inexécution, ne sont pas propres au contrat de travail, et se retrouvent également dans le contrat d’entreprise, et le mécanisme de l’exception d’inexécution.

Le pourvoi insistait sur la liberté totale des clicwalkers d’accepter ou d’abandonner les missions proposées, mais cette circonstance n’est pas en elle-même exclusive d’un lien de subordination, ainsi que l’a jugé la chambre sociale dans l’arrêt Uber (Cass. soc. 4-3-2020 n° 19-13.316 FP-PBRI).

Ce qui est caractéristique du contrat de travail, est la faculté pour l’employeur de délivrer des directives d’exécution, d’en contrôler le respect, et d’en sanctionner l’inobservation tout au long de la relation de travail. Toutefois, la relation de travail salariée n’est pas nécessairement longue, et cette qualification peut s’appliquer à une relation d’une durée très courte de l’ordre de quelques heures, par exemple en matière de contrat de travail à durée déterminée d’usage : dans ces circonstances, la délivrance de directives pendant l’exécution du travail peut ne pas être nécessaire, ce qui n’est pour autant pas exclusif d’un contrat de travail.

La faculté pour l’employeur d’exercer son pouvoir général de direction sur le salarié tout au long de la relation de travail a pour corollaire, l’obligation pour le salarié de se tenir à la disposition de l’employeur pendant cette même durée. Or, il paraît difficile de dire que le clicwalker qui connaît par avance le contenu précis de la mission qui lui est confiée, et est libre de l’exécuter ou de l’abandonner après acceptation, se tient à la disposition de la société, jusqu’à réalisation de la mission .

La qualification de contrat de travail retenue par la cour d’appel dans l’arrêt attaqué par le pourvoi ne relevait donc pas de l’évidence, et la chambre criminelle de la Cour de cassation décide de l’écarter.

Les précautions à prendre dans l'interprétation de l'arrêt de la Cour de cassation

Il ne faudrait toutefois sans doute pas tirer de cet arrêt une règle de principe, abstraite, selon laquelle aucun contrat de travail ne peut être caractérisé lorsque le travailleur ne reçoit aucune instruction ou consigne lors de l’exécution de son travail, et que le donneur d’ordre ne dispose pas, sur cette même période après le début de la relation contractuelle et avant l’achèvement du travail demandé, du pouvoir de contrôler l'exécution de ses directives et d'en sanctionner les manquements.

La Cour de cassation a procédé à une appréciation d’ensemble des données de l’espèce, et rappelle dans sa décision la circonstance que les missions sont confiées par la société à des particuliers, et ont notamment pour objet la fourniture d’information sur leurs habitudes de consommation, de sorte qu’il était permis de s’interroger sur la qualification même, à leur égard, de « travailleurs ».

A cet égard, il faut rappeler que l’objet du droit du travail est d’assurer une protection des droits et de l’intégrité physique et morale du travailleur, qui se trouve placé dans un état de dépendance économique et de subordination vis-à-vis de l’employeur. Or, tous les contributeurs des sociétés de crowdmarketing ne se trouvent pas placés dans la même situation : une large majorité d’entre eux ne recourent à cette activité que de manière très occasionnelle, sans chercher à en tirer un revenu de subsistance, et souvent à titre accessoire à une activité professionnelle, voire même, dans un objectif ludique. Aucun des clicwalkers n’a d’ailleurs sollicité la reconnaissance de la qualité de salarié devant les juridictions civiles, ni n’a demandé une quelconque réparation devant la juridiction pénale. Si cette circonstance n’était certainement pas de nature à exclure la qualification de contrat de travail, elle permet à tout le moins de conforter la décision prise par la chambre criminelle : les clicwalkers, particuliers n’exerçant pas une prestation de travail dans une relation de subordination, ne se trouvaient pas placés dans une situation justifiant leur protection par le droit du travail.

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Cass. crim. 5-4-2022 n° 20-81.775 FS-B

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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