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Précisions sur la pratique de délégation d’autorité parentale en vue d’adoption

Une délégation d’autorité parentale permettant la prise en charge de l’enfant dès sa naissance comme l’adoption subséquente ne traduisent pas une convention de GPA si le projet est envisagé au cours de la grossesse ; le délégataire doit être un proche digne de confiance.

Cass. 1e civ. 21-9-2022 n° 21-50.042 FS-BR ; Cass. 1e civ. 21-9-2022 n° 21-50.040 FS-D


Par Florence GALL et Julie LABASSE
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©Gettyimages

Plusieurs arrêts du même jour rendus à propos d’une pratique installée en Polynésie sont l’occasion pour la Haute Juridiction de faire le point sur les règles en matière de délégation de l’autorité parentale, d’adoption subséquente à la délégation et de gestation pour autrui.

Délégation d’autorité parentale

I. Dans une première affaire (n° 21-50.042), un couple de Polynésiens donne naissance à un enfant. Le couple demande au juge aux affaires familiales (JAF) une délégation de l’exercice de l’autorité parentale sur leur enfant au profit d’un couple métropolitain. Le JAF y fait droit. Le procureur général près la cour d’appel de Papeete conteste la décision sur trois points.

Délégation et convention de gestation pour autrui (GPA). Tout d’abord, le procureur estime que la délégation tombe sous le coup de la prohibition des conventions de GPA.

La Cour de cassation ne partage pas cette analyse. Elle rappelle que les conventions portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui sont nulles (C. civ. art. 16-7). Ces dispositions reposent sur les principes d’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes, qui interdisent, sauf exceptions prévues par la loi, de conclure une convention portant sur un élément du corps humain ou de disposer librement de sa qualité de père ou de mère. Mais elle relève que le projet de délégation d’autorité parentale, par les parents d’un enfant à naître, au bénéfice de tiers souhaitant le prendre en charge à sa naissance n’entre pas dans le champ de ces conventions puisque :

  • d’une part, l’enfant n’a pas été conçu en vue de satisfaire la demande des candidats à la délégation ;

  • d’autre part, la mesure de délégation n’est qu’un mode d’organisation de l’exercice de l’autorité parentale, ordonnée sous le contrôle du juge, révocable et sans incidence sur la filiation.

La cour d’appel ayant constaté que le projet de délégation n’a été envisagé qu’au cours de la grossesse, elle en a exactement déduit que la délégation ne consacrait pas une relation fondée sur une convention de gestation pour autrui entre délégant et délégataire.

Délégation au profit de deux délégataires ? Le second argument du procureur est que, la délégation d’autorité parentale étant possible « au profit d’un tiers, membre de la famille, proche digne de confiance […] » (C. civ. art. 377, al. 1), il en résulte qu’une seule personne peut être délégataire et non deux comme en l’espèce.

Argument rejeté. Pour la Cour suprême, les dispositions de l’article 377, alinéa 1 du Code civil n’interdisent pas la désignation de plusieurs délégataires lorsque, en conformité avec l’intérêt de l’enfant, les circonstances l’exigent.

Délégataires quasi inconnus des délégants. Enfin, le procureur estime que les délégataires ne pouvaient pas être considérés comme des proches dignes de confiance au sens de l’article 377, alinéa 1 dès lors que délégants et délégués ne se connaissaient que depuis quelques semaines.

Sur ce point, la Haute Juridiction lui donne raison. Elle rappelle que, si la délégation d’autorité parentale est demandée en faveur d’une personne étrangère au cercle familial, il doit s’agir d’un proche digne de confiance. Or, tel n’est pas le cas d’une personne dépourvue de lien avec les délégants et rencontrée dans le seul objectif de prendre en charge l'enfant en vue de son adoption ultérieure.

En dépit de cette méconnaissance de l’article 377 du Code civil, la Cour de cassation rejette le pourvoi, à titre exceptionnel compte tenu du contexte particulier existant en Polynésie. Elle précise que sa jurisprudence ne s’applique pas aux situations des enfants pour lesquels une instance est en cours.

Adoption subséquente

II. Dans une seconde affaire (n° 21-50.040), la question ne portait pas sur la délégation de l’autorité parentale mais sur la demande d’adoption subséquente. En effet, une femme avait donné naissance à une fille à Tahiti. Sept mois plus tard, sur sa demande, le juge autorisait une délégation de l’autorité parentale au profit d’un couple de femmes. Puis, dix-huit mois après, la mère biologique consentait devant notaire à l’adoption de l’enfant par le couple. Le procureur général a alors contesté la recevabilité de la demande d’adoption. Selon lui, les juges du fond ont constaté l’existence d’un pacte antérieur à la naissance de l’enfant entre la femme enceinte et des tiers pour que celle-ci leur donne son enfant à la naissance à des fins d’adoption. Ils ont ainsi enfreint la prohibition d’ordre public de la gestation pour autrui (GPA) spécifiée aux articles 16-7 et 16-9 du Code civil.

Telle n’est pas l’analyse de la Cour de cassation. Rappelant les fondements de la nullité des conventions portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui dans les mêmes termes que ci-dessus, elle précise que le projet d’adoption faisant suite à une mesure de délégation d’autorité parentale ordonnée à la suite d’un accord entre les parents d’un enfant à naître et les tiers souhaitant le prendre en charge à sa naissance n’entre pas dans le champ de ces conventions prohibées. Elle reprend, là encore, la motivation qui lui a permis, dans l’arrêt ci-dessus commenté, de valider la délégation d’autorité parentale.

Et relève qu’en l’espèce la cour d’appel a constaté que la mesure de délégation d’autorité parentale n’avait été envisagée par la mère de l’enfant qu’au cours de la grossesse. Elle en a exactement déduit que l’adoption sollicitée ne consacrait pas entre la mère biologique et les candidates à l’adoption une relation fondée sur une convention de GPA.

A noter :

1. La procédure de délégation en vue d’adoption est une pratique installée en Polynésie parce que les modalités d’adoption des enfants âgés de moins de deux ans sont incertaines sur le territoire, en raison d’une carence réglementaire. Cette pratique, entérinée depuis plus de 30 ans par la cour d’appel de Papeete, est désormais condamnée par la jurisprudence nouvelle de la Cour de cassation.

C’est dans ce contexte que celle-ci décide de ne pas conférer une application immédiate à la première décision commentée, considérant que la remise en cause des situations existantes porterait une atteinte disproportionnée à l’intérêt de l’enfant ainsi qu’au droit au respect de la vie privée et familiale. Elle ajoute qu'à la date de la naissance de l'enfant les parents légaux, comme le couple candidat à la délégation, se sont engagés dans un processus de délégation d'autorité parentale en vue d'une adoption qu'ils pouvaient, de bonne foi, considérer comme étant conforme au droit positif. Le remettre en cause serait contraire au principe de sécurité juridique et de confiance légitime. Cette décision est transposée dans une série d’arrêts rendus le même jour statuant sur cette pratique polynésienne de délégation parentale avant adoption (Cass. 1e civ. 21-9-2022 n° 21-50.048 F-D ; Cass. 1e civ. 21-9-2022 n° 21-50.052 F-D ; Cass. 1e civ. 21-9-2022 n° 21-50.050 F-D).

2. Selon un auteur, la pratique de la délégation d’autorité parentale avant adoption est, bien que risquée, parfois utilisée en métropole, afin de « contourner la règle de l'article 348-5 du Code civil qui impose la remise de l'enfant de moins de deux ans à l'Aide sociale à l'enfance, et permet aux parents de choisir les futurs parents adoptifs de leur enfant qui, en attendant, vivra déjà auprès d'eux » (Rép. civ. Dalloz, V° Autorité parentale par A. Gouttenoire, n° 368). La première décision commentée remettrait a priori également en question cette pratique.

3. Les juges du fond avaient déjà admis la délégation d’autorité parentale au profit d’un couple, bien que l’article 377 du Code civil ne l’envisage qu’au profit d’un seul délégataire (par exemple, CA Lyon 1-3-1994 n° 93-2719). La Cour de cassation entérine la possibilité de désigner plusieurs délégataires lorsque l’intérêt de l’enfant et les circonstances l’exigent.

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