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Une preuve issue d’une vidéosurveillance illicite sauvée par la mise en balance du droit à la preuve

La preuve d’une faute, issue d’une vidéosurveillance illicite, peut être recevable si elle est indispensable au droit à la preuve, notamment lorsque la surveillance, justifiée par la disparition inexpliquée de marchandises, est limitée dans le temps.

Cass. soc. 14-2-2024 n° 22-23.073 F-B, B. c/ Sté Pharmacie mahoraise


Par Aliya BENKHALIFA
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©Getty Images

La chambre sociale de la Cour de cassation rend un nouvel arrêt sur l’application du droit à la preuve à propos d’une preuve issue d’une vidéosurveillance illicite des salariés.

L’affaire concernait une pharmacie équipée de plusieurs caméras de vidéosurveillance destinées à la protection et la sécurité des biens et des personnes dans les locaux, mais qui avaient permis à l'employeur de constater plusieurs fautes commises par une salariée (saisie d'une quantité de produits inférieure à ceux réellement vendus, vente de produits à des prix inférieurs au prix de vente, absence d'enregistrement de vente de produits délivrés au client) et ayant motivé son licenciement pour faute grave.

Saisie une première fois de cette affaire en 2021, la Cour de cassation avait confirmé que ce mode de preuve était illicite, car la mise en place de la vidéosurveillance permettant de contrôler l’activité des salariés et ayant été utilisée à cette fin n’avait pas fait l’objet d’une information préalable des salariés ni d’une consultation du CSE (comité d’entreprise à l’époque des faits). Elle avait cassé l’arrêt d’appel et renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion (réunie dans une formation différente), lui confiant expressément le soin d’examiner si l'utilisation de la preuve issue de cette vidéosurveillance illicite avait porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, afin de statuer sur sa recevabilité (Cass. soc. 10-11-2021 n° 20-12.263 FS-B).

C’est la tâche à laquelle s’est attelée la cour d’appel, dans un arrêt du 13 septembre 2022 contre lequel la salariée s’est pourvue en cassation.

Un rappel des règles de mise en balance d’une preuve illicite avec le droit à la preuve

Se prononçant à nouveau dans cette affaire, la Cour de cassation rappelle dans un premier temps les règles d’application de la mise en balance avec le droit à la preuve et le rôle du juge en la matière.

Ainsi, elle énonce que, dans un procès civil, l’illicéité dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit en effet, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits, à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

En présence d'une preuve illicite, le juge doit d'abord s'interroger sur la légitimité du contrôle opéré par l'employeur et vérifier s'il existait des raisons concrètes qui justifiaient le recours à la surveillance et l'ampleur de celle-ci. Il doit ensuite rechercher si l'employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d'autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié. Enfin, le juge doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte ainsi portée à la vie personnelle au regard du but poursuivi.

A noter :

Ce faisant, la chambre sociale de la Cour de cassation reprend les formulations de sa propre jurisprudence (Cass. soc. 8-3-2023 nos 21-20.798 FS-D, 21-17.802 FS-B et 20-21.848 FS-B) et de celle de l’assemblée plénière en la matière (Cass. ass. plén. 22-12-2023 n° 20-20.648 BR).

Une illustration de circonstances susceptibles de permettre la recevabilité d’une preuve illicite

La cour d’appel de renvoi, examinant les circonstances de l’espèce, a constaté que le visionnage des enregistrements avait été effectué dans un contexte d’anomalies dans les stocks, la société ayant envisagé dans un premier temps l’hypothèse de vol par des clients. Les inventaires confirmant des écarts injustifiés, la responsable avait décidé de suivre les produits lors de leur passage en caisse et de croiser les séquences vidéo sur lesquelles apparaissaient les ventes de la journée avec les relevés des journaux informatiques de vente, ce contrôle ayant été réalisé sur une période de 2 semaines. Un recoupement des opérations enregistrées à la caisse de la salariée avait ainsi révélé au total 19 anomalies graves sur cette période.

Elle a retenu enfin que le visionnage des enregistrements avait été limité dans le temps, après des premières recherches restées infructueuses et avait été réalisé par la seule dirigeante de l'entreprise.

La Cour de cassation valide le raisonnement de la cour d’appel et juge qu’elle a ainsi mis en balance de manière circonstanciée le droit de la salariée au respect de sa vie privée et le droit de l’employeur au bon fonctionnement de l'entreprise, en tenant compte du but légitime poursuivi par l'entreprise, à savoir le droit de veiller à la protection de ses biens. La cour d’appel a ainsi pu en déduire que, compte tenu de ces circonstances, la production des données personnelles issues du système de vidéosurveillance était indispensable à l'exercice du droit à la preuve de l'employeur et proportionnée au but poursuivi, de sorte que les pièces litigieuses étaient recevables.

A notre avis :

Ici, les limites de l’atteinte à la vie privée de la salariée, résultant des circonstances du visionnage des bandes de vidéoprotection, sur une courte période, par une seule personne, et aux seules fins de prouver des agissements graves qu’il avait été impossible d’établir autrement, ont probablement été déterminantes pour admettre la recevabilité de preuves illicites.

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© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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