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Accueil/ Actualités - La Quotidienne/ Social/ Exécution du contrat de travail

À propos de la conclusion et du périmètre de l’accord de performance collective

Dans les entreprises de moins de 50 salariés, dépourvues de délégué syndical, un APC peut, sous conditions, être valablement conclu avec des élus du CSE. Ainsi en a jugé la cour d’appel de Nancy qui a aussi précisé qu’un tel accord ne peut pas avoir pour objet ou pour effet de réduire les effectifs.

CA Nancy 6-2-2023 n° 21/03031, F. c/ SAS JIPE


Par Valérie BALLAND
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©Gettyimages

Les accords de performance collective (APC) ont le vent en poupe. Leur nombre ne cesse de croître depuis leur création par l’ordonnance 2017-1385 du 22 septembre 2017 à la faveur notamment de la crise sanitaire : 247 APC ont ainsi été conclus durant les 3 derniers trimestres de 2020 contre 133 les 3 trimestres précédents, soit une hausse de 86 % selon le ministère du travail (Dares analyses n° 66 novembre 2021). Ce dispositif particulièrement souple, conclu pour répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver ou de développer l’emploi (C. trav. art. L 2254-2, I), permet aux employeurs de s’adapter aux évolutions de leur marché.

Rappelons que l’une des particularités de ces accords est que leurs stipulations se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail des salariés qui en acceptent l’application. Les salariés qui la refusent peuvent être licenciés pour un motif spécifique qui constitue une cause réelle et sérieuse et selon la procédure de licenciement pour motif personnel (C. trav. art. L 2254-2, III et V).

Les décisions de justice relatives à ces accords sont encore fort peu nombreuses, d’où l’intérêt de celle de la cour d’appel de Nancy rendu le 6 février 2023. Celle-ci apporte un éclairage intéressant sur deux aspects : d’une part, les conditions de conclusion des APC et, plus précisément la question de savoir si ceux signés avec d’autres acteurs que les organisations syndicales représentatives sont valides et, d’autre part, le périmètre de ces accords.

Jusqu’à présent, les décisions rendues par la chambre sociale de la Cour de cassation concernent les anciens accords pour l’emploi et principalement les accords de mobilité interne, auxquels ont succédé les APC. Cependant, les positions prises par la Haute Juridiction devraient, à notre sens, être transposables (voir notamment Cass. soc. 2-12-2020 nos 19-11.986 à 19-11.994 FS-PBRI).

En l’espèce, une société du secteur de la construction modulaire employant 53 salariés sur 2 sites (l’un en Alsace, l’autre dans la Meuse) a été placée en redressement judiciaire en juillet 2017. Par jugement du 18 décembre 2018, le tribunal de commerce de Colmar a arrêté un plan de redressement par apurement du passif.

Faisant suite à la procédure collective, un plan de licenciement collectif pour motif économique a été mis en œuvre réduisant les effectifs à moins de 50 salariés. Dans la foulée, un APC « mobilité interne » a été signé le 9 juin 2020 entre la société et deux élus titulaires de la délégation salariée du CSE. L’accord avait pour objet de regrouper les deux établissements en un site unique (celui de la Meuse) et de déterminer les conditions de cette mobilité géographique, qui correspondait à un changement d’établissement en dehors de la zone géographique d’emploi des salariés rattachés à l’établissement alsacien. Sur les 4 salariés concernés, 3 ont refusé la modification de leur contrat résultant de l’application de l’APC et ont été licenciés conformément à l’article L 2254-2, V du Code du travail. Ils ont assigné la société et les deux élus devant le tribunal judiciaire aux fins d’annulation de l’accord.

Les conditions de conclusion des APC en question

La question qui était soumise au tribunal était de savoir si la société pouvait légalement, en l’absence de délégués syndicaux, conclure un APC avec les seuls 2 membres élus du CSE. Compte tenu de la portée de l’APC sur les contrats individuels de travail, les salariés et le syndicat CFDT de la métallurgie, qui s’est joint à l’assignation, considéraient en effet qu’il était dangereux d’ouvrir l’APC à tous les négociateurs.

L’APC peut légalement être conclu selon un mode supplétif…

L’article L 2254-2 du Code du travail régissant l’APC qualifie celui-ci d’« accord » sans plus de précision, et ne comporte aucune restriction quant à ses modes de conclusion. Ce qui laisse ouverte la possibilité de le conclure selon l’un des modes supplétifs prévus à l’article L 2232-23-1 du Code du travail. Ce texte prévoit spécifiquement que, dans les entreprises dont l’effectif est compris entre 11 et moins de 50 salariés et qui sont dépourvues de délégué syndical, les accords peuvent être conclus :

  • soit avec un ou plusieurs salariés expressément mandatés par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives étant membres ou non de la délégation du personnel du CSE, l’accord devant, dans ce dernier cas, être approuvé par un vote majoritaire des salariés directement consultés ;

  • soit par un ou des membres titulaires de la délégation du personnel du CSE à la condition qu’ils représentent la majorité des suffrages exprimés lors des dernières élections professionnelles.

A noter :

Dans son Questions-réponses sur l’APC de juillet 2020, le ministère du travail indique que les conditions de validité de l’APC sont identiques à celles de tout accord collectif d’entreprise et fait expressément référence à ces modes de conclusion alternatifs (QR min. trav. « L’accord de performance collective », n° 9). 

Notons que dans les entreprises d’au moins 50 salariés dépourvues de délégué syndical, des modes supplétifs de conclusion des accords collectifs sont prévus (C. trav. art. L 2232-24 s.), comme dans les entreprises de plus petite taille. La question de la possibilité de conclure un APC dans ces entreprises selon ces modes alternatifs se poserait dans les mêmes termes.

En conséquence, pour le tribunal judiciaire, le mode de conclusion de l’accord collectif signé le 9 juin 2020 par la société et les 2 élus titulaires du CSE était valable. Une position confirmée par la cour d’appel de Nancy.

Le doute sur la question, d’ailleurs source de division au sein de la doctrine (voir, notamment, « Juges et accords de performance collective » : Dr. Soc. 2020 p. 511), résulte de la décision du Conseil constitutionnel relative à la loi de ratification des ordonnances Macron qui a considéré que, pour être adopté, l’APC devait, en vertu de l’article L 2232-12 du Code du travail, soit être signé par les organisations syndicales représentatives majoritaires, soit être approuvé par les salariés à la majorité des suffrages exprimés s’il n’a été signé que par des organisations syndicales représentatives minoritaires ayant recueilli plus de 30 % des voix au premier tour des dernières élections des membres titulaires du CSE (Cons. const. 2018-761 DC du 21-3-2018).

Mais, comme le relève la cour d’appel, les Sages n’ont, en revanche, porté aucune appréciation sur la situation spécifique des accords conclus, dans les entreprises de 10 à 50 salariés, par un ou des membres titulaires du CSE, représentant la majorité des suffrages exprimés lors des élections professionnelles, qui ne sont pas soumis à une consultation directe des salariés, comme cela était le cas en l’espèce. Toutefois, souligne-t-elle, l’appréciation de la constitutionnalité d’un accord ainsi conclu ne relève que du Conseil constitutionnel et, en l’absence d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soumise par l’une des parties, ce point échappe à sa compétence.

A notre avis :

Le fait que le Conseil constitutionnel ne se soit pas prononcé expressément en 2018 sur la validité des APC conclus selon ce mode alternatif ne signifie pas pour autant qu’il l’écarte. L’exclure reviendrait, selon nous, à interdire purement et simplement aux petites entreprises de négocier de tels accords, ce qui ne semble pas avoir été l’intention du Gouvernement ni du législateur. Dans le même temps, selon Me Pierre Dulmet, l’avocat des salariés licenciés, il pourrait être légitime de réserver l’APC aux entreprises dotées de délégués syndicaux vu les enjeux de ce type d’accord pour les salariés. Dans sa motivation, la cour d’appel invite clairement les parties à poser une QPC. Une telle initiative serait bienvenue afin que le Conseil constitutionnel puisse trancher définitivement la question.

… à condition de respecter scrupuleusement les règles de négociation qui y sont attachées

Dès lors que la société avait légalement la possibilité de conclure un APC avec les salariés élus du CSE, encore fallait-il que les règles de négociation des accords dérogatoires définies aux articles L 2232-27 et suivants du Code du travail aient été scrupuleusement respectées. Aux termes de l’article L 2232-29 du Code du travail, la négociation entre l’employeur et les membres de la délégation du personnel du CSE doit se dérouler dans le respect de certaines règles parmi lesquelles l’élaboration conjointe du projet d’accord par les négociateurs et la concertation avec les salariés.

Les autres règles imposées par l’article L 2232-29 du Code du travail pour que l’accord soit valide sont l’indépendance des négociateurs vis-à-vis de l’employeur et la faculté de prendre l’attache des organisations syndicales représentatives de la branche.

Pour la cour d’appel, confirmant sur ce point la décision du tribunal judiciaire, le fait que le projet d’accord ait été rédigé par l’employeur ne permettait pas de conclure qu’il n’avait pas été élaboré de manière conjointe, dès lors que, sa signature ayant été précédée de réunions et d’échanges, il aurait pu être amendé à la demande du CSE.

En revanche, il n’est pas contesté que les salariés n’ont été à aucun moment de la négociation consultés et sollicités, par l’intermédiaire de la direction ou de leurs représentants. Pour estimer néanmoins la procédure régulière, le tribunal judiciaire avait considéré qu’il relevait du mandat des représentants du personnel d’informer les salariés et de les interroger sur le projet dans les délais impartis et que le manquement ne pouvait donc pas être reproché à la société.

Tel n’est pas l’avis de la cour d’appel qui souligne que les textes n’opèrent pas une telle distinction. Pour elle, il appartenait à l’employeur soit de procéder lui-même à la consultation des salariés, soit de s’assurer que les salariés élus y procéderaient dans le cadre d’un accord de méthode, dans la mesure où cette concertation est fixée non dans l’intérêt des parties à l’accord, mais au profit des salariés concernés par son application.

En l’espèce, aucun accord de méthode n’avait été conclu entre les signataires de l’APC. La cour d’appel souligne qu’en l’espèce l’absence de concertation a eu des répercussions négatives pour l’un des salariés qui, après s’être vu notifier l’APC, a adressé à son employeur deux contre-propositions, lesquelles, à défaut de concertation préalable, n’ont donc pas été soumises à l’appréciation des parties à l’accord, les privant de la possibilité de le faire amender dans le sens souhaité par le salarié, et a ainsi abouti à son licenciement sans que ses suggestions soient examinées.

En conséquence, la cour d’appel estime que l’absence de la phase indispensable de concertation avec les salariés entache la régularité des conditions dans laquelle l’accord de performance collective a été conclu. Pour cette raison, il encourt la nullité.

Un accord dont le périmètre était contesté

Les salariés contestaient par ailleurs la validité de l’APC au motif, d’une part, qu’il organisait la fermeture d’un site, ce qui ne correspondrait pas au périmètre des APC et, d’autre part, qu’il avait abouti à une compression des effectifs, les salariés licenciés pour n’avoir pas accepté la modification de leur contrat de travail n’ayant pas été remplacés.

L’APC peut organiser la fermeture d’un site…

Sur le premier point, les appelants n’ont pas eu gain de cause. Tant le premier juge que la cour d’appel considèrent en effet que l’article L 2254-2 du Code du travail ne prévoit pas une telle limitation. En outre, ajoute la cour d’appel, l’APC, dès lors qu’il est conclu pour une durée indéterminée, autorise des mesures irréversibles. Autre motivation : un APC pouvant déterminer les conditions de la mobilité géographique interne à l’entreprise, les juges du fond en déduisent qu’il peut organiser le transfert de la totalité des effectifs affectés à un site sur un autre site de l’entreprise et la fermeture du premier.

A noter :

Sur cette question, les juges vont à l’encontre de la position de l’administration. En effet, dans son Questions-réponses, le ministère du travail indique que l’APC ne peut pas être utilisé pour la fermeture définitive d’un site ou d’un établissement, lorsque cette fermeture entraîne un déménagement de l’intégralité des postes et fonctions (QR min. trav. « L’accord de performance collective », n° 2). Comme le rappelle cependant le tribunal judiciaire, l’interprétation de l’administration, dont se prévalaient les demandeurs, n’est pas même constitutive d’une circulaire et n’a donc pas vocation à prévaloir sur le texte de loi applicable.

… mais l’employeur doit remplacer poste pour poste les salariés licenciés pour refus de l’application de l’APC à leur situation

En l’espèce, un plan de licenciement collectif pour motif économique avait été mis en œuvre avant la conclusion de l’APC et avait eu pour effet de réduire les effectifs. L’article L 2254-2 du Code du travail régissant l’APC n’autorise pas en revanche la compression des effectifs de l’entreprise. C’est ce que rappelle en toute logique et très clairement la cour d’appel, accédant ainsi à la requête des salariés.

Selon elle, un accord de performance collective ne peut pas avoir pour objet ou pour effet de supprimer des postes, s’agissant uniquement d’aménager les conditions de travail, concernant la durée et l’organisation du travail, la rémunération et la mobilité professionnelle et géographique des salariés. Il convient donc que l’employeur, qui seul dispose des éléments probatoires, justifie du remplacement par de nouveaux salariés de l’ensemble des salariés licenciés pour n’avoir pas accepté la modification de leur contrat de travail.

Si le licenciement de deux des salariés licenciés a bien été compensé par une embauche, tel n’est pas le cas du troisième, dont les tâches ont été reprises et réparties entre deux personnes, déjà salariées de l’entreprise, sans que son poste ait été pourvu par une nouvelle embauche. Dès lors, la cour d’appel constatant le non-remplacement du salarié licencié et la suppression de son emploi a pu en déduire que l’APC était irrégulier et devait être déclaré nul.

A noter :

La décision de la cour d’appel est logique. Une entreprise peut envisager la modification du contrat de travail des salariés pour répondre aux nécessités de fonctionnement de l’entreprise en ayant recours à l’APC. En l’espèce, si l’APC pouvait déterminer les conditions de la mobilité géographique interne à l’entreprise à la suite de la fermeture d’un établissement et du transfert des activités sur un site unique, il ne pouvait conduire à une compression des effectifs, sauf à s’apparenter à un licenciement économique déguisé. En outre, l’APC ayant été déclaré nul, les salariés licenciés pour avoir refusé l’application de l’accord à leur situation pourraient saisir le conseil de prud’hommes afin de faire annuler leur licenciement. Dans un arrêt du 24 novembre 2022, la cour d’appel de Versailles a, en effet, rappelé qu’un salarié peut légitimement s'opposer à la mise en œuvre d'un APC visant à éluder les règles applicables en cas de licenciement pour motif économique, sans que ce refus suffise à justifier son licenciement dans le cadre de l'article L 2254-2 du Code du travail. En l’espèce, dans la mesure où l'intéressé figurait parmi les 95 salariés concernés par une mobilité géographique et/ou professionnelle prévue par l'APC et où son licenciement s'inscrivait en réalité dans le cadre des difficultés économiques rencontrées par la société, lesquelles ont justifié la fermeture du site où il était affecté, ont conduit à la suppression de son poste de travail et ont justifié la mise en œuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi, la cour d’appel a jugé que son licenciement, intervenu en l'absence de toute décision relative à la validation ou à l'homologation d'un tel plan, était nul en application de l'article L 1235-10 du Code du travail (CA Versailles 24-11-2022 n° 20/01405).

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