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Le pschitt d'une canette n'est pas distinctif et ne peut donc pas être enregistré comme marque sonore

Après avoir défini les critères d'appréciation du caractère distinctif d'une marque sonore, le Tribunal de l'UE en déduit que ne revêt pas ce caractère le signe sonore composé du son qui se produit à l'ouverture d'une canette, suivi d'un silence puis d'un pétillement, déposé pour désigner des boissons.

Trib. UE 7-7-2021 aff. 668/19, Ardagh Metal Beverage Holding GmbH & Co. KG c/ EUIPO


Par Maya VANDEVELDE
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©iStock

Une société spécialisée dans la fabrication de canettes de boisson dépose une demande d'enregistrement, en tant que marque de l'Union européenne, d'un signe sonore composé du bruit qui se produit à l'ouverture d'une canette, suivi d'un silence d'environ 1 seconde et d'un pétillement d'environ 9 secondes. Le signe est déposé pour désigner principalement des boissons, gazéifiées ou non.

L'Office de l'UE pour la propriété intellectuelle (EUIPO) rejette la demande, le signe ne présentant pas de caractère distinctif.

Saisi du recours formé contre cette décision, le Tribunal de l'Union européenne rejette à son tour la demande d'enregistrement

Critères d'appréciation du caractère distinctif d'une marque sonore 

On sait qu'un son peut constituer une marque au même titre qu'une couleur ou une forme, à la condition de présenter un caractère distinctif. 

Depuis le 1er octobre 2017 pour les marques de l'Union européenne (Règl. UE 2017/1001 du 14-6-2017) et le 11 décembre 2019 pour les marques françaises (CPI art. L 711-1 issu de Ord. 2019-1169 du 13-11-2019), il n'est plus exigé que le signe déposé soit susceptible de représentation graphique : une marque sonore peut ainsi être représentée par un fichier audio représentant le son (MP3), aussi bien que par une représentation fiable du son en notation musicale (Décision du directeur général de l'Inpi 2019-157 du 11-12-2019).  

C'est la première fois que le Tribunal se prononce sur l'enregistrement à titre de marque d'un signe sonore déposé dans un format audio.

Concernant l'appréciation du caractère distinctif du signe, le Tribunal rappelle que les marques sonores sont soumises aux mêmes règles que les autres catégories de marques (CJUE 13-9-2016 aff. 408/15) et doivent permettre d'identifier le produit ou le service pour lequel l'enregistrement est demandé comme provenant d'une entreprise déterminée, et donc de distinguer ce produit ou ce service de ceux d'autres entreprises. 

Pour qu'un signe sonore puisse être protégé en tant que marque, il est nécessaire qu'il possède une certaine prégnance permettant au consommateur visé de le percevoir et de le considérer en tant que marque, et non pas en tant qu'élément de nature fonctionnelle ou en tant qu'indicateur sans caractéristique intrinsèque propre. Si le public a pour habitude de percevoir des marques verbales ou figuratives comme des signes identifiant l'origine commerciale des produits ou des services, il n'en va pas nécessairement de même lorsque le signe est seulement constitué d'un élément sonore. Or le consommateur doit pouvoir faire le lien avec cette origine commerciale par la seule perception de la marque, sans qu'elle soit combinée à d'autres éléments, tels que notamment des éléments verbaux ou figuratifs, voire une autre marque.

En revanche, précise le juge européen, il n'y a pas lieu de transposer en matière de marque sonore la jurisprudence dégagée pour les marques tridimensionnelles constituée par l'apparence du produit lui-même ou de son emballage, suivant laquelle plus la forme dont l'enregistrement est demandé en tant que marque se rapproche de la forme la plus probable que prendra le produit en cause, plus il est vraisemblable que cette forme est dépourvue de caractère distinctif. Autrement dit, dans le cadre des marques tridimensionnelles, seule une forme qui, de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur n'est pas dépourvue de caractère distinctif.

Le juge européen relève que cette jurisprudence n'établit pas de nouveaux critères d'appréciation du caractère distinctif mais se limite à préciser que, dans le cadre de l'application de ces critères, la perception du public pertinent est susceptible d'être influencée par la nature du signe. Pour le Tribunal, cette solution a été développée eu égard à la situation particulière dans laquelle une marque demandée consiste en la forme du produit lui-même ou de son emballage, alors qu'il existe une norme ou des habitudes du secteur concernant cette forme : le consommateur, accoutumé à voir des formes correspondant à la norme ou aux habitudes du secteur, ne percevra pas la marque demandée comme une indication de d'origine commerciale du produit. 

La CJUE avait déjà eu l'occasion d'écarter l'application d'une telle jurisprudence à une marque composée d'un motif de couleur et destinée à être apposée exclusivement et systématiquement de manière déterminée sur une grande partie des biens utilisés pour la fourniture de ce service - en l'occurrence des véhicules de transport collectif (CJUE 8-10-2020 aff. 456/19 : RJDA 4/21 n° 275).

Absence de caractère distinctif du signe demandé 

Le Tribunal écarte le caractère distinctif du signe litigieux pour les motifs suivants.

D'une part, le son émis lors de l'ouverture de la canette est considéré, eu égard au type de produits en question - des boissons - comme un élément purement technique et fonctionnel, l'ouverture d'une canette ou d'une bouteille étant intrinsèque à une solution technique déterminée dans le cadre de la manipulation de boissons aux fins de les consommer, indépendamment du fait que de tels produits contiennent du gaz carbonique ou non. Or, un élément perçu par le public pertinent comme remplissant avant tout un rôle technique et fonctionnel n'est pas perçu comme une indication de l'origine commerciale des produits.

D'autre part, le son du pétillement des bulles sera immédiatement perçu par le public pertinent comme renvoyant à des boissons.

Enfin, les éléments sonores et le silence d'environ 1 seconde composant la marque, pris dans leur ensemble, ne possèdent aucune caractéristique intrinsèque permettant de considérer que, au-delà de leur perception en tant qu'indication de fonctionnalité et comme renvoyant aux produits en cause, ceux-ci pourraient également être perçus comme une indication de l'origine commerciale. 

A cet égard, le fait que le silence dure 1 seconde et le son du pétillement 9 ne suffit pas à conférer au signe un caractère distinctif, dès lors que ces nuances ne seront perçues que comme une variante des sons habituellement émis par des boissons au moment de l'ouverture de leur contenant. Cette combinaison de son et de silence n'est donc pas assez forte pour les distinguer des sons comparables dans le domaine des boissons. 

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne