Une femme décède le 8 septembre 2013, laissant un fils et deux filles. L’une des filles, par ailleurs désignée légataire universel, a bénéficié de deux donations de terrains nus, sur lesquels elle a fait construire une maison. Elle assigne ses cohéritiers aux fins notamment d’évaluation par un expert de la valeur vénale des actifs immobiliers donnés ou légués afin de déterminer l’indemnité de réduction à sa charge.
Pour la réunion fictive des donations en vue du calcul de la réduction, les juges d’appel retiennent que la maison doit être valorisée à la somme de 803 000 euros, montant du prix auquel elle a été vendue par acte du 17 juin 2021.
Censure de la Cour de cassation au visa des articles 922 et 924-2 du Code civil :
le premier de ces textes dispose que « la réduction se détermine en formant une masse de tous les biens existant au décès du donateur ou testateur. On y réunit fictivement, après en avoir déduit les dettes, ceux dont il a été disposé par donation entre vifs d'après leur état à l'époque de la donation et leur valeur à l'ouverture de la succession. Si les biens ont été aliénés, il est tenu compte de leur valeur à l'époque de l'aliénation et, s'il y a eu subrogation, de la valeur des nouveaux biens au jour de l'ouverture de la succession. On calcule sur tous ces biens, eu égard à la qualité des héritiers qu'il laisse, quelle est la quotité dont le défunt a pu disposer. » Il en résulte que les biens fictivement réunis se retrouvant au décès dans le patrimoine du donataire sont évalués comme les biens existants, au jour du décès, dans leur état au jour de la donation ;
selon le second, le montant de l'indemnité de réduction se calcule d'après la valeur des biens donnés ou légués à l'époque du partage ou de leur aliénation par le gratifié et en fonction de leur état au jour où la libéralité a pris effet.
Or, il résultait des constatations de la cour d’appel, d'une part, que le bien avait été vendu postérieurement à l'ouverture de la succession et, d'autre part, que les terrains donnés le composant étaient nus au jour de leur donation. En conséquence, pour déterminer la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible, il devait être tenu compte de la valeur de ces seuls terrains, au jour de l'ouverture de la succession, et non au jour de l'aliénation. En outre, tant pour déterminer la masse de calcul que pour calculer l'indemnité de réduction, il devait être tenu compte de l’état des terrains au jour des donations.
A noter :
Pour évaluer les biens donnés fictivement réunis à la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible, il est tenu compte des variations d’état entre la donation et le jour du décès lorsqu’elles sont fortuites, car le défunt les aurait lui-même connues. En revanche, il n’est pas tenu compte des variations imputables au gratifié. Seul le donataire doit profiter (ou pâtir) des plus-values (ou moins-values) qu’il a procurées (ou infligées) de son propre fait au bien. On doit donc ventiler entre les changements d’état imputables et ceux non imputables à l’activité du donataire. Ainsi, un terrain constructible au jour de la donation et sur lequel le donataire a fait édifier une maison, mais qui est devenu inconstructible au jour du décès, doit être évalué comme non constructible et non construit (Cass. 1e civ. 11-9-2013 n° 12-17.277 F-PB : RTD civ. 2013 p. 879 obs. M. Grimaldi ; voir également B. Vareille, L'état d'un terrain donné et la mise en œuvre de la liquidation successorale : Defrénois 28-2-2015 n° 118v5 p. 180). Dans l’affaire rapportée, la donataire avait également fait construire une maison sur les terrains donnés (l’arrêt d’appel fait état d’une construction réalisée par ses soins, l’arrêt de la Cour de cassation évoque une construction édifiée par son époux). Il est donc parfaitement logique que la cour d’appel soit censurée pour ne pas avoir tenu compte du caractère nu des terrains au jour des donations.
Dans le cas où le bien donné a été aliéné et n’est donc plus la propriété du donataire au jour du décès du donateur, c’est sa valeur à l’époque de l’aliénation, compte tenu de son état au jour de la donation, qui est retenue (sauf à tenir compte d’une éventuelle subrogation, comme le prescrit l’article 922 précité). Encore faut-il que l’aliénation intervienne par hypothèse avant le décès, date impérative pour vérifier l’intégrité de la réserve, les droits des réservataires étant fixés à l’ouverture de la succession. Là encore, la censure était inévitable, les juges d’appel ayant retenu le prix de la vente survenue près de huit années après le décès.