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Usage du nom de famille Taittinger : atteinte à la marque de Champagne renommée ? Parasitisme ?

Le membre d'une famille ayant cédé tous ses droits sur une célèbre marque de champagne peut-il continuer à faire usage de son patronyme pour vendre un autre champagne ? La Cour de cassation censure l'arrêt ayant répondu par l'affirmative.

Cass. com. 10-7-2018 n° 16-23.694 FS-PB


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1. Après la cession par la famille Taittinger de ses parts dans la société du groupe familial propriétaire de la marque de champagne éponyme, l'un des membres de cette famille dépose la marque « Virginie T » pour désigner un nouveau champagne. Pour permettre la distribution de ce vin, cette personne crée ensuite un site internet et réserve le nom de domaine « www.virginie-t.com » pour l'héberger. Elle réserve également plusieurs noms de domaines comportant son nom en intégralité, notamment « www.virginie-taittinger.com » et « www.virginie-taittinger-champagne.com », lesquels redirigent les internautes vers le site hebergé à l'adresse « virginie-t.com ».

Invoquant l'utilisation du nom Taittinger pour la vente et la promotion du champagne Virginie T, et la mise en œuvre d'une communication axée sur ce nom et sur l'image de marque à laquelle il est attaché, la société propriétaire de la marque assigne Virginie Taittinger sur divers fondements, lui reprochant notamment d'avoir porté atteinte à la marque renommée « Taittinger » et de s'être rendue coupable de parasitisme.

Usage d'une marque renommée : notion de juste motif

2. En ce qui concerne l'atteinte à la marque, la société invoque l'article L 713-5 du Code de la propriété intellectuelle, qui prévoit que la reproduction ou l'imitation d'une marque jouissant d'une renommée pour des produits ou services similaires ou non à ceux désignés dans l'enregistrement engage la responsabilité civile de son auteur si elle est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cette reproduction ou imitation constitue une exploitation injustifiée de cette dernière.

Virginie Taittinger réplique en se prévalant de l'exception de juste motif d'utiliser la marque, consacrée par la directive européenne rapprochant les législations des Etats membres de l'UE sur les marques (Dir. 89/104/CEE du 21 décembre 1999 art. 5, 2° ; désormais, Dir. 2008/05/CE du 22-10-2008 art. 5, 2°). Or, si le texte français ne fait pas référence à ce juste motif, cette différence de rédaction est sans conséquence, dès lors que le juge national doit interpréter le texte français à la lumière de la directive.

3. La cour d'appel de Paris lui donne raison et relève que, même si un consommateur normalement avisé est conduit à établir un lien entre les usages de la marque reprochés à Virginie Taittinger et la marque renommée « Taittinger », Virginie Taittinger ne tire cependant indûment aucun profit de la renommée de la marque en question, ni ne porte préjudice à sa valeur distinctive ou à sa renommée en rappelant son origine familiale et que son nom suffit à identifier son parcours professionnel ou son expérience passée, même agrémentés de photographies.

La Cour de cassation censure la décision : lorsque le titulaire de la marque renommée est parvenu à démontrer qu'il a été indûment tiré profit du caractère distinctif ou de la renommée de celle-ci, il appartient au tiers ayant fait usage d'un signe similaire à la marque renommée d'établir que l'usage d'un tel signe a un juste motif ; l'existence d'un juste motif à l'usage du signe n'entre pas en compte dans l'appréciation du profit indûment tiré de la renommée de la marque, mais doit être appréciée séparément, une fois l'atteinte caractérisée.

4. C'est la première fois à notre connaissance que la Cour de cassation précise que la notion de juste motif n'est pas un élément de définition de l'atteinte portée à la marque renommée, mais fonctionne, une fois cette atteinte relevée, comme un fait justificatif et exonératoire du responsable.

5. Il n'existe pas de définition du motif légitime, et peu de jurisprudence sur le sujet, mais, en l'espèce, l'homonymie entre la marque et le patronyme de celle auquel il était reproché d'en user paraissait constituer un terrain d'élection de la notion. Dans une affaire opposant également des producteurs de champagne, la cour d'appel de Paris avait ainsi refusé de faire droit à la demande de la société Champagne Henriot d'interdire à Serge Henriot d'utiliser la dénomination « Champagne Serge Henriot » et de réserver le nom de domaine portant le même nom, après avoir relevé la fréquence des homonymies en Champagne viticole (CA Paris 2-6-2010 n° 08/20561).

6. En tout état de cause, la Cour de cassation ne se prononce pas sur cette question, et se borne à censurer l'arrêt en ce qu'il a déduit l'absence d'atteinte à la marque renommée de l'existence d'éléments ressortant de la notion de juste motif. Avant même de s'interroger sur l'existence éventuelle de ce juste motif, les juges auraient ainsi dû vérifier si des éléments caractérisaient l'exploitation et le profit indu, caractéristiques de l'atteinte à la marque renommée.

Sans doute, le constat de l'existence d'un juste motif aurait conduit, dans un deuxième temps, à rejeter la demande fondée sur l'atteinte à la marque, de sorte que sous cet angle le résultat aurait été le même. Mais dans l'affaire, la question conservait un intérêt puisque l'absence d'atteinte à la marque relevée par la cour d'appel fondait également pour partie le rejet de la demande en parasitisme ; or, sur le terrain du parasitisme, il n'y a pas de motif légitime.

Appréciation du parasitisme

7. Sous l'angle du parasitisme, la cour d'appel de Paris avait également rejeté la demande au motif qu'il n'était pas démontré en quoi l'adoption d'une dénomination sociale et d'un nom commercial en tant que tels traduirait à eux seuls les efforts et les investissements, notamment promotionnels, de la société.

De ce chef, l'arrêt est encore censuré par la Cour de cassation : les juges du fond auraient dû prendre en considération le prestige et la notoriété acquise de la dénomination et du nom commercial de la société cédée.

8. Le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis (Cass. com. 26-1-1999 n° 96-22.457 D : RJDA 4/99 n° 491 ; Cass. com. 4-2-2014 n° 13-11.044 F-D : RJDA 5/14 n° 491, 1e esp. ; Cass. com. 9-6-2015 n° 14-11.242 F-D : RJDA 8-9/15 n° 612).

Jugé par exemple que le négociant en vins qui adresse aux 50 établissements d'une société renommée un prospectus publicitaire proposant la vente de bouteilles de vin revêtues d'étiquettes portant le nom de la société et de son dirigeant commet un acte parasitaire, dès lors qu'en agissant ainsi il a cherché à tirer profit de la renommée de la société (Cass. com. 12-2-2013 n° 12-14.045 F-D : RJDA 6/13 n° 562). La décision ci-dessus en constitue un nouvel exemple. Elle illustre par ailleurs la proximité qui existe entre les notions d'atteinte à la marque renommée et de parasitisme.

Maya VANDEVELDE

Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Droit commercial n° 32448 et Mémento Concurrence consommation n° 6890

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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