Un souscripteur remplit au sein de son agence bancaire des formulaires de demande d’avenant afin de modifier les clauses bénéficiaires de ses deux contrats d’assurance-vie. À son décès, l’assureur verse les capitaux au bénéficiaire désigné antérieurement à la modification puis, invoquant une erreur sur l’identité du bénéficiaire, l’assigne en remboursement des sommes indûment perçues. La demande est rejetée par la cour d’appel, qui refuse de donner effet à la substitution de bénéficiaire, les demandes d’avenants modificatifs n’ayant pas été portées à la connaissance de l’assureur avant le décès de l’assuré.
Censure de la Cour de cassation. Opérant un revirement de jurisprudence, elle affirme que ne peut être maintenue sa position conditionnant la validité d’une modification de bénéficiaire non-testamentaire à sa connaissance par l’assureur du vivant de l’assuré (Cass. 2e civ. 13-6-2019 n° 18-14.954 F-PBI : BPAT 5/19 inf. 198 ; Cass. 2e civ. 10-3-2022 n° 20-19.655 F-B : BPAT 3/22 inf. 152). Il convient de juger désormais que la substitution du bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie, qui n’est subordonnée à aucune règle de forme, suppose seulement, pour sa validité, que la volonté du contractant soit exprimée d’une manière certaine et non équivoque, condition appréciée souverainement par les juges du fond.
L’arrêt d’appel ayant appliqué la jurisprudence précitée doit donc être annulé.
A noter :
1. La substitution du bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie peut être réalisée « soit par voie d’avenant au contrat, soit en remplissant les formalités édictées par l’article 1690 du Code civil, soit par voie testamentaire » (C. ass. art. L 132-8). La Cour de cassation a jugé à plusieurs reprises que cette liste n’était pas limitative et qu’aucune forme n’était imposée, seule comptant la volonté certaine et non équivoque du souscripteur de modifier le bénéficiaire (Cass. 1e civ. 13-5-1980 n° 79-10.053 ; Cass. 1e civ. 2-12-2005 n° 14-27.215 ; Cass. 1e civ. 25-9-2013 n° 12-23.197 F-PB : BPAT 6/13 inf. 242 ; Cass. 2e civ. 26-11-2020 n° 18-22.563 F-PBI : BPAT 1/21 inf. 33). En outre, elle ne faisait pas de la connaissance par l’assureur de la volonté du souscripteur avant le décès de l’assuré une condition de validité du changement de bénéficiaire (Cass. 1e civ. 6-5-1997 n° 95-15.319 ; Cass. 2e civ. 13-9-2007 n° 06-18.199). Par deux arrêts de 2019 et 2022, elle a durci sa position en exigeant que la substitution de bénéficiaire soit connue par l’assureur du vivant de l’assuré, sauf dans l’hypothèse d’une modification par voie testamentaire (Cass. 2e civ. 13-6-2019 n° 18-14.954 F-PBI et Cass. 2e civ. 10-3-2022 n° 20-19.655 F-B précités). La Cour de cassation revient aujourd’hui sur cette jurisprudence, en invoquant plusieurs raisons : - son incohérence avec les articles L 132-8 du Code des assurances, qui ne mentionne pas la connaissance de la modification par l’assureur comme condition de validité, et L 132-25, qui fait de cette connaissance une simple condition d’opposabilité de la modification à l’assureur. Rappelons en effet qu’à défaut de connaissance du changement de bénéficiaire, le paiement fait au bénéficiaire antérieur est libératoire pour l’assureur de bonne foi (C. ass. art. L 132-25) ;
– son opposition au caractère unilatéral de la désignation du bénéficiaire, en vertu duquel la modification n’exige pas le consentement de l’assureur, qui ne peut pas s’opposer à la volonté du souscripteur ;
– le risque de priver d’effet la volonté du souscripteur dont le caractère certain et non équivoque serait établi par d’autres éléments de preuve que la connaissance de la modification par l’assureur avant le décès de l’assuré.
2. Pour Sophie Gonsard et Pascal Julien Saint-Amand, notaires au sein du réseau Althémis et coauteurs des Mémentos Patrimoine et Droit de la famille, cet arrêt est à saluer. Ils nous précisent : « Nous avions été surpris de l’évolution de la position de la Cour de cassation au terme des arrêts de 2019 et 2022, introduisant, ad validitatem, une condition de prise de connaissance par la compagnie d’assurance de la volonté du contractant de désigner ou modifier le bénéficiaire avant le décès de l’assuré, sauf naturellement pour une désignation faite par testament. Le revirement opéré par l’arrêt du 3 avril 2025 rétablit la cohérence antérieure. Il contribue au respect de la volonté du souscripteur dont la vérification du caractère certain et non équivoque redevient ainsi la seule condition de validité de la clause, la pierre angulaire de l’analyse, quelle que soit la forme retenue pour son expression. Pour autant, la communication de l’information à l’assureur reste doublement souhaitable. D’abord, pour éviter le paiement à un bénéficiaire erroné, qui est libératoire pour l'assureur de bonne foi. Ensuite, parce que la notification de la clause à la compagnie par le souscripteur est un élément de preuve tangible, permettant de distinguer entre un simple projet et une décision définitivement formée. À cet égard, la solution optimale nous semble, encore et toujours, de confier à son notaire une clause bénéficiaire non testamentaire (manuscrite ou dactylographiée) avec information de la compagnie d’assurance de ce dépôt entre ses mains. »