Un époux marié sous le régime de la participation aux acquêts était titulaire avant son mariage de droits sociaux dans une entreprise exploitée sous forme sociétaire. Lors de la liquidation consécutive à son divorce, une difficulté apparaît sur l’évaluation de ces droits sociaux. Le juge aux affaires familiales, statuant en qualité de juge de la mise en état, du tribunal judiciaire de Versailles formule une demande d’avis à la Cour de cassation.
La demande est ainsi formulée :
« Dans le régime de la participation aux acquêts, la jurisprudence de la première chambre civile de la Cour de cassation résultant de son arrêt n° 21-25.554 rendu le 13 décembre 2023, selon laquelle "lorsque l’état d’un bien a été amélioré, fût-ce par l’industrie personnelle d’un époux, il doit être estimé dans le patrimoine originaire, dans son état initial et, dans le patrimoine final, selon son état à la date de la dissolution du régime matrimonial, en tenant compte des améliorations apportées, la plus-value ainsi mesurée venant accroître les acquêts nets de l'époux propriétaire", s’applique-t-elle à tous les biens, y compris à l’entreprise exploitée sous forme sociétaire par l’un des époux ? »
Pour réponse, la Cour de cassation rappelle tout d’abord que cette double estimation concerne tous les biens quelle qu'en soit la nature et, le régime de participation aux acquêts tendant à associer chaque époux à l'enrichissement de l'autre pendant le mariage, l'état des droits sociaux doit s'apprécier, comme en matière successorale, au regard de l'état du fonds social dont ils sont représentatifs (Cass. 1e civ. 8-7-2009 n° 07-18.041 : Bull. civ. I n° 168 ; Cass. 1e civ. 24-10-2012 n° 11-21.839 : Bull. civ. I n° 219, pour une indemnité de réduction pour des parts sociales données). Il s’ensuit que lorsque l’état d’une entreprise exploitée sous forme sociale a été amélioré, fût-ce par l’industrie personnelle d’un époux, l’état des droits sociaux doit être estimé dans le patrimoine originaire, au regard de l’état initial de l’entreprise et, dans le patrimoine final, au regard de l’état de l’entreprise à la date de la dissolution du régime matrimonial, en tenant compte des améliorations apportées, la plus-value ainsi mesurée venant accroître les acquêts nets de l’époux propriétaire.
A noter :
À la liquidation du régime de la participation aux acquêts, l’enrichissement net de chacun des époux est mesuré par la double estimation du patrimoine originaire et du patrimoine final. D’un côté, les biens du patrimoine originaire sont estimés d’après leur état au jour du mariage ou de leur entrée dans le patrimoine de l’époux d’après leur valeur au jour de la liquidation (C. civ. art. 1571). De l’autre, les biens existants constituant le patrimoine final sont évalués selon leur état au jour de la dissolution du régime et selon leur valeur au jour de la liquidation (C. civ. art. 1574).
Parmi les biens existants, aucune différence n’est faite entre les biens originaires et les acquêts. Par conséquent, un bien dont l’époux était propriétaire au jour du mariage ou qu’il a reçu à titre gratuit et qui se retrouve à la dissolution fera l’objet d’une double évaluation mais sur la base d’un état qui aura probablement changé. À défaut de distinction légale, la variation de cet état peut résulter tant de l’utilisation d’acquêts que de l’industrie personnelle d’un époux. Il en résulte que lorsque l’état d’un bien a été amélioré par l’activité d’un époux, il doit être estimé, dans le patrimoine originaire, dans son état initial et, dans le patrimoine final, selon son état à la date de dissolution, en tenant compte des améliorations apportées (Cass. 1e civ. 13-12-2023 n° 21-25.554 FS-B : SNH 1/24 inf. 1, obs. G. Yildirim ; G. Yildirim, L’autonomie de la participation aux acquêts dans la prise en compte des plus-values industrielles : SNH 11/24 inf. 10).
De manière assez logique et l’avis de la Cour de cassation le confirme, cette solution doit s’appliquer à tous les biens, y compris les droits sociaux. Pour ces derniers, leur état doit s’apprécier, comme en matière successorale, au regard de l’état du fonds social dont ils sont représentatifs (en ce sens, Cass. 1e civ. 8-7-2009 et Cass. 1e civ. 24-10-2012 précités). C’est donc la comparaison entre l’état initial de l’entreprise au moment du mariage et l’état de l’entreprise à la date de la dissolution qui permettra de déterminer l’enrichissement éventuel.
Pour Gulsen Yildirim, professeure de droit à l'université de Limoges, si cette interprétation est juridiquement imparable, elle pose des difficultés pratiques lors de la liquidation. Dans l’arrêt de 2023, qui fonde l’avis, l’évaluation était simple puisque la plus-value prise par l’officine de pharmacie provenait uniquement du travail réalisé par l’épouse. Or, la prise de valeur des droits sociaux a souvent des origines multiples. Elle peut être due tout à la fois à des investissements financiers, à l’industrie personnelle de l’époux et à des fluctuations du marché. Il faudrait donc pour chaque actif ventiler en fonction de l’origine de la plus-value et la chiffrer parfois des années après.
Le monde des sociétés est aussi marqué par des montages divers et complexes allant de la petite SARL familiale à la holding. Or, pour cette dernière, comment opérer la ventilation entre les plus-values issues du travail et celles liées à l’évolution du marché ? De même, une entreprise sous forme sociétaire peut avoir plusieurs associés. Comment, dans ce cas, évaluer la quote-part de plus-value uniquement procurée par l’époux concerné ?
L’avis de la Cour de cassation comporte ainsi de nombreuses incertitudes. De multiples expertises seront certainement nécessaires pour parvenir à la juste évaluation de ces droits sociaux, à l’origine de surcoût pour les parties et d’un allongement des procédures.
En définitive, l’époux professionnel risque de devoir verser à son conjoint une très forte créance de participation tenant compte de tout le travail effectué pendant l’union. Ce risque confirme l’intérêt de l’insertion d’une clause d’exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation. Certes, la Cour de cassation a qualifié cette clause d’avantage matrimonial révocable de plein droit lors du divorce (Cass. 1e civ. 18-12-2019 n° 18-26.337 FS-PBI : Dalloz actualité 23-1-2020 obs. Q. Guiguet-Schielé ; G. Yildirim, La participation aux acquêts à l’épreuve des avantages matrimoniaux : SNH 19/20 inf. 10). Mais l’article 265 modifié par la loi de justice patrimoniale 2024-494 du 31 mai 2024 permet désormais de prévoir le maintien de cette clause dans la convention matrimoniale (art. 3). Par conséquent, en présence d’une entreprise sous la forme sociétaire, le notaire doit exposer les risques liés à l’évolution de l’état des droits sociaux et conseiller l’insertion d’une clause d’exclusion de l’outil professionnel avec mention d’un maintien des effets de cette clause lors du divorce. Le notaire devra néanmoins veiller à expliquer les conséquences d’un tel maintien pour l’autre époux.
Pour les époux précautionneux mariés avant l’entrée en vigueur de la loi, l’incertitude demeure. Il devient impératif de sécuriser leur clause d’exclusion notamment par une modification de leur régime matrimonial.
Pour en savoir plus
Voir MFA 2024 N° 5095