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Accueil/ Actualités - La Quotidienne/ Affaires/ Responsabilité du fait des produits défectueux

Responsabilité du fait des produits défectueux : la Cour de cassation apporte d'importantes précisions

La victime du défaut de sécurité d'un produit ne peut pas fonder son action contre le producteur sur la responsabilité de droit commun du fait des choses. Elle doit invoquer la responsabilité du fait des produits défectueux, même si le dommage est causé à un bien à usage professionnel.

Cass. 1e civ. 11-7-2018 n° 17-20.154 FS-PBI


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1. Un bâtiment agricole est détruit par un incendie en raison d’une surtension accidentelle sur le réseau électrique et de l’explosion d’un transformateur situé à proximité. Le propriétaire du bâtiment poursuit la société ERDF sur le fondement de la responsabilité du fait des choses (C. civ. art. 1242, al. 1 ; ex-art. 1384, al. 1). Cette société considère au contraire que seul le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux est applicable (C. civ. art. 1245 s. ; ex-art. 1386-1 s.), même s’agissant de dommages causés à un bien à usage professionnel, de sorte que l’action du propriétaire, engagée plus de 3 ans après la connaissance de l’origine du sinistre est prescrite (C. civ. art. 1245-16 prévoyant une prescription de 3 ans contre 5 ans en droit commun).

La Cour de cassation retient ces arguments et déclare l’action de la victime irrecevable car prescrite.

La victime ne peut pas invoquer la responsabilité du fait des choses

2. Si, selon l’article 1245-17 du Code civil, le régime de responsabilité du fait des produits défectueux ne porte pas atteinte aux droits dont la victime d’un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d’un régime spécial de responsabilité, c’est à la condition que ceux-ci reposent sur des fondements différents, telles la garantie des vices cachés ou la faute (CJCE 25-4-2002, aff. C-183/00 point 31). Mais tel n’est pas le cas, juge la Cour de cassation, de l’action en responsabilité du fait des choses, prévue à l’article 1242, al. 1 du Code civil qui, lorsqu’elle est invoquée à l’encontre du producteur après la mise en circulation du produit, procède nécessairement d’un défaut de sécurité.

3. La Cour de cassation avait déjà jugé que le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux n’exclut pas l’application d’autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle à la condition que ceux-ci reposent sur des fondements différents de celui d’un défaut de sécurité du produit litigieux, telles la garantie des vices cachés ou la faute ; ainsi, elle a exclu l'application de l’article 1240 (ex-art. 1382) du Code civil en l’absence de preuve d’une faute distincte (Cass. com. 26-5-2010 n° 07-11.744 FS-PB : RJDA 8-9/10 n° 894 et Cass. 1e civ. 10-12-2014 n° 13-14.314 F-PB : Bull. civ. I n° 209) ou la responsabilité contractuelle de droit commun fondée sur l’article 1231-1 (ex-art. 1147) ou l’article 1603 du Code civil (Cass. 1e civ. 17-3-2016 n° 13-18.876 F-PB : BRDA 8/16 inf. 20).

Dans le droit-fil de cette jurisprudence, la Cour suprême affirme, pour la première fois à notre connaissance, que la responsabilité du fait des produits défectueux exclut l’application du régime de responsabilité extracontractuelle du fait des choses dès lors que les deux régimes ont le même fondement juridique : une responsabilité sans faute en cas de défaut de sécurité.

4. Cette solution ne vaut qu’après la mise en circulation du produit, puisque l’application du régime de responsabilité du fait des produits défectueux suppose un produit mis en circulation, c’est-à-dire un produit dont le producteur s’est dessaisi volontairement (C. civ. art. 1245-4). Avant cette mise en circulation, seul le régime de la responsabilité du fait des choses s’applique.

Les dommages causés à un bien à usage professionnel sont concernés

5. La Haute Juridiction juge qu’en l’absence de limitation du droit national, l’article 1245-1 du Code civil s’applique au dommage causé à un bien destiné à l’usage professionnel.

En effet, d'une part l’article 9 de la directive européenne 85/374 du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux prévoit que les dispositions de celle-ci s’appliquent à la réparation du dommage causé par la mort ou par des lésions corporelles et au dommage causé à une chose ou la destruction d’une chose, autre que le produit défectueux lui-même, sous déduction d’une franchise, à condition que cette chose soit d’un type normalement destiné à l’usage ou à la consommation privés et ait été utilisée par la victime principalement pour son usage ou sa consommation privés ; d’autre part, l’article 1245-1 issu de la loi 98-389 du 19 mai 1998, transposant l’article 9 de cette directive, énonce que les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux s’appliquent à la réparation du dommage qui résulte d’une atteinte à la personne ainsi qu’à la réparation du dommage supérieur à un montant déterminé par décret qui résulte d’une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même.

Par suite, considère la Cour, le législateur national n’a pas limité le champ d’application de ce régime de responsabilité à la réparation du dommage causé à un bien destiné à l’usage ou à la consommation privés et utilisé à cette fin.

6. La Cour de cassation ajoute encore que, si, par une décision du 4 juin 2009 (aff. 285/08 : RJDA 8-9/09 n° 794), rendue sur une question préjudicielle renvoyée par la Cour de cassation (Cass. com. 24-6-2008 n° 07-11.744 F-PB : RJDA 11/08 n° 1199), la Cour de justice des Communautés européennes a dit que la réparation des dommages causés à une chose destinée à l’usage professionnel et utilisée pour cet usage ne relève pas du champ d’application de la directive précitée, elle a précisé que celle-ci doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à l’interprétation d’un droit national ou à l’application d’une jurisprudence interne établie selon lesquelles la victime peut demander réparation du dommage causé à une chose destinée à l’usage professionnel et utilisée pour cet usage, dès lors que cette victime rapporte seulement la preuve du dommage, du défaut du produit et du lien de causalité entre ce défaut et le dommage.

7. La Cour de cassation clarifie ainsi sa position sur l’application du régime de responsabilité du fait des produits défectueux aux dommages causés à des biens professionnels. Après avoir jugé que la réparation des dommages causés à une chose destinée à l’usage professionnel et utilisée pour cet usage ne relève pas du champ d’application de la directive 85/374 du 25 juillet 1985 (CJCE 4-6-2009, précité) et qu’en conséquence les articles 1245 et suivants du Code civil, qui transposent en droit interne la directive, ne s’appliquent pas à la réparation des dommages causés aux produits destinés à l’usage professionnel, car ce n’est pas expressément prévu par le Code civil (Cass. com. 26-5-2010 n° 07-11.744 FS-PB : RJDA 8-9/10 n° 894), elle adopte la solution inverse en invoquant l’absence de limite expresse par le législateur français du champ d’application de ce régime. Autrement dit le silence de la loi sur les biens à usage professionnel, qui valait auparavant exclusion du régime, implique dorénavant applicabilité de celui-ci.

Récemment, la Cour de cassation avait déjà jugé que le régime de responsabilité du fait des produits défectueux s’applique au producteur d’un produit affecté d’un défaut, même si la destination de l’usage de ce produit est professionnelle (Cass. 1e civ. 11-1-2017 n° 16-11.726 FS-PBI : BRDA 3/17 inf. 10).

Sophie CLAUDE-FENDT

Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Droit commercial n° 8088

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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