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Passage pour cause d’enclave : le juge peut retenir un tracé autre que celui demandé

Lorsque les propriétaires intéressés sont parties à l’instance, le juge qui constate l’état d’enclave d’un fonds est légalement tenu de déterminer, conformément aux directives légales, l’assiette de la servitude de passage en faveur de ce fonds.

Cass. 3e civ. 20-5-2021 n° 20-15.082 F-P


Par Emmanuel DE LOTH
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©iStock

Le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n'a sur la voie publique aucune issue, ou qu'une issue insuffisante, soit pour l'exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d'opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d'une indemnité proportionnée au dommage qu'il peut occasionner (C. civ. art. 682). Le passage doit régulièrement être pris du côté où le trajet est le plus court du fonds enclavé à la voie publique. Néanmoins, il doit être fixé dans l'endroit le moins dommageable à celui sur le fonds duquel il est accordé (C. civ. art. 683).

Une demande de servitude de passage pour cause d’enclave et la détermination de l’assiette du passage se trouvent au cœur de la décision rapportée.

Après expertise ordonnée en référé, un propriétaire assigne plusieurs voisins, dont une copropriété et les consorts C., en désenclavement de son fonds. Il demande que la servitude de passage soit fixée selon le tracé n° 1 proposé par l’expert.

En première instance, le tribunal retient ce tracé, qui pèse particulièrement sur la copropriété.

L’affaire allant en appel, le propriétaire demande la confirmation de la décision des premiers juges. La cour d’appel constate à nouveau la situation d’enclave mais retient le tracé n° 3 défini par l’expert, passage qui passe sur les parcelles de la copropriété et des consorts C.

Pourvoi des consorts C., qui reprochent aux juges d’appel d’avoir notamment modifié l’objet du litige en fixant l’assiette de la servitude de passage suivant un autre tracé que celui réclamé par le demandeur dans ses conclusions.

Rejet. Lorsque les propriétaires intéressés sont parties à l’instance, le juge qui constate l’état d’enclave d’un fonds est légalement tenu de déterminer, conformément aux dispositions de l’article 683 du Code civil, l’assiette de la servitude de passage en faveur de ce fonds (§ 4). C’est par conséquent sans modifier l’objet du litige que la cour d’appel a fixé, selon le tracé n° 3 proposé par l’expert, l’assiette de la servitude de passage (§ 5).

A noter :

Le principe énoncé par la Cour de cassation au point 4 de sa décision n’est pas nouveau (pour une formulation proche, voir Cass. 3e civ. 23-4-1992 n° 90-13.071 : Bull. civ. III n° 142, RTD civ. 1993 p. 620 obs. F. Zenati). De même, les Hauts Magistrats ont déjà eu l’occasion de préciser que le juge n’est pas lié par la localisation de l’assiette du passage contenue dans la demande, laquelle doit toujours être interprétée comme une demande générale de détermination de l’assiette de la servitude (F. Zenati, précité, évoquant Cass. req. 2-11-1938 : JCP 1939 II n° 966).

Ainsi cette affaire nous semble-t-elle illustrer l’opportunité, en cas d’action en désenclavement, d’appeler en cause tous les voisins du fonds enclavé et tous les propriétaires des fonds interposés entre celui-ci et les voies les plus proches car c’est au juge de déterminer le ou les fonds sur lesquels le passage devra s’effectuer (J.-L. Bergel, S. Cimamonti, J.-M. Roux et L. Tranchant : Traité de droit civil. Les biens, LGDJ 3e éd. 2019, n° 398). Les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain d’appréciation pour déterminer le passage répondant aux exigences de l’article 683 du Code civil (Cass. 1e civ. 19-1-1966 : Bull. civ. I n° 47 ; Cass. 3e civ. 6-11-1969 : Bull. civ. III n° 722).

Bien entendu, le propriétaire dont le fonds est enclavé peut toujours s’entendre avec le ou les voisins lui permettant d’accéder à la voie publique et convenir avec eux, de manière amiable, des conditions d’exercice du passage aux termes d’un acte reçu par le notaire.

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne
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La servitude de passage des terrains enclavés

Lorsque son terrain est enclavé, le propriétaire peut demander un droit de passage sur l'une des propriétés qui l'entourent afin d'accéder à la voie publique. Quelles sont les conditions et les modalités de cette servitudes de passage ?


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La servitude de passage des terrains enclavés

Qu'est-ce qu'un terrain enclavé ?

Un terrain est enclavé en raison d'obstacles matériels, lorsqu'il n'a aucun accès à la voie publique ou lorsque cet accès est insuffisant, par exemple s'il ne permet pas le passage d'un véhicule (exemples 1 et 2).

Il y a également enclavement lorsqu'un terrain longe une route mais que celle-ci est inaccessible depuis la propriété. Tel sera le cas s'il y a une dénivellation très forte entre la propriété et la voie publique (exemple 3).

Un terrain peut également être considéré comme enclavé en raison  de contraintes administratives, en l'absence même de tout obstacle physique. Tel est le cas lorsque le certificat d'urbanisme délivré par la commune interdit l'accès direct du terrain à la route (Cass. 3e civ. 14-1-2016 no 14-26.640) ou en présence d'un panneau de signalisation dont l'installation résulte d'une décision administrative (Cass. 3e civ. 17-12.2020 n° 19-11.376 FP-PBI : BPIM 1/21 inf. 87, ici l'enclave n'a toutefois pas été retenue faute de preuve de l'existence d'une décision administrative prescrivant l'interdiction de circuler).

Le droit de passage

Le propriétaire d'un terrain enclavé peut demander un droit de passage sur l'une des propriétés qui l'entourent afin d'accéder à la voie publique (C. civ. 682). En pratique, on parle de « servitude de passage ». Ce droit lui sera obligatoirement accordé à condition :

  • qu'il prouve que son terrain est enclavé ;

  • qu'il ne soit pas directement responsable de son enclavement. Il est directement responsable de l'enclavement s'il a bâti une construction sur la parcelle contiguë qui lui appartenait également (Cass. 3e civ. 14-11-2019 n° 18-19.985 F-D).

Le droit de passage peut être demandé non seulement pour les besoins familiaux du propriétaire du terrain enclavé mais aussi pour l'exercice d'une activité agricole, industrielle ou commerciale.

Où se situera le passage ?

Les voisins peuvent convenir ensemble du lieu du passage. Il est conseillé dans ce cas de constater l'accord dans un contrat écrit.


À défaut d'accord, le passage sera fixé par le juge. Il doit être pris à l'endroit où le trajet est le plus court entre le terrain enclavé et la voie publique (C. civ. art. 683). Cette règle s'applique même si le passage oblige à traverser plusieurs propriétés alors qu'un petit allongement du trajet permettrait de passer sur une seule propriété.

Toutefois, si le trajet le plus court est de nature à causer un dommage excessif au terrain qui subira le passage, un trajet plus long pourra être retenu. Tel sera le cas si l'établissement du droit de passage oblige à la coupe d'arbres ou à la démolition d'une construction.

Si l'état d'enclave provient de la division d'une propriété en plusieurs lots par suite d'une vente, d'un partage, etc., le passage ne peut être demandé que sur les terrains issus de la division. Lorsque aucun passage suffisant ne peut être créé sur les terrains divisés, le propriétaire du terrain enclavé pourra demander le passage sur une autre propriété (C. civ. art. 684).

Quelle est l'étendue du droit de passage ?

Les voisins peuvent convenir ensemble des conditions d'utilisation du passage. À défaut d'accord, les modalités du droit de passage seront fixées par le juge.

La largeur du passage peut être de un, deux, trois ou quatre mètres selon que le propriétaire souhaite circuler uniquement à pied ou a besoin de faire passer de gros engins agricoles.

Selon les cas, le passage peut être utilisé continuellement, certains jours de la semaine ou à certaines heures de la journée.

Peut-on modifier le passage ?

Si les besoins du bénéficiaire du passage évoluent ultérieurement, il pourra obtenir la modification des conditions d'utilisation du passage ou de son étendue. Le bénéficiaire du passage devra démontrer l'utilité des modifications. Le seul fait que le passage lui serait plus commode s'il était situé ailleurs n'est pas suffisant. 

Le propriétaire subissant le passage peut également demander le déplacement de l'assiette du passage à ses frais.

Les droits du propriétaire subissant le passage

Le propriétaire supportant la servitude peut continuer d'utiliser son terrain à sa convenance. Toutefois, il ne peut pas entreposer sur le passage des objets portant atteinte au droit de passage. Il peut clore sa propriété, par exemple en posant une barrière ou un portail à l'entrée du passage, mais il doit prendre toutes les dispositions nécessaires pour que son voisin puisse continuer à utiliser normalement le passage, en lui remettant les clés de la barrière ou une télécommande qui permet d'ouvrir le portail, automatisé, à distance (Cass. 3e civ. 20-3-2012 no 11-15.140).

De même, le propriétaire peut placer une haie le long du passage pour préserver son intimité, mais il doit veiller à ce que les plantations ne réduisent pas l'étendue du droit de passage.

Le coût de la servitude

Le bénéficiaire du passage doit indemniser celui qui supporte la servitude (C. civ. art. 682).

L'indemnité est proportionnelle au préjudice qu'occasionnent l'établissement et l'usage du droit de passage (destruction d'un mur, d'arbres, perte de jouissance du terrain, gêne occasionnée…). L'indemnité peut être versée en une seule fois ou périodiquement tant que dure la servitude.

Le montant de l'indemnisation est fixé soit à l'amiable, soit par le tribunal judiciaire après expertise judiciaire. Le propriétaire subissant le passage ne peut pas interdire le passage ou demander la démolition des ouvrages permettant le passage dans l'attente du paiement de l'indemnité de désenclavement (Cass. 3e civ. 25-3-2021 n° 20-15.155 FS-P)

Les frais d'établissement et d'entretien du passage sont le plus souvent à la charge de celui qui bénéficie du droit de passage (C. civ. art. 697 et 698 ; Cass. 3e civ. 12-3-2014 no 12-28.152 : Bull. civ. III no 38). Toutefois, si le passage est utilisé par les deux propriétaires, chacun d'eux devra participer à son entretien.

Celui qui subit le passage reste propriétaire du terrain, il doit donc acquitter les impôts correspondants et spécialement les impôts fonciers.

Que se passe-t-il en cas de désenclavement ?

Si la propriété vient à être désenclavée, par exemple après la création d'une nouvelle route, le droit de passage n'a plus lieu d'être. Le propriétaire qui subissait le passage est alors en droit de demander la suppression des ouvrages (par exemple, un portail) implantés sur sa propriété, y compris dans le sous-sol, tels les câbles téléphoniques ou d'alimentation électrique ou les conduites d'eau.

Si le bénéficiaire du passage ne veut pas y renoncer, le propriétaire doit s'adresser au tribunal judiciaire qui constatera la disparition de la servitude (C. civ. art. 685-1).

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne