Une femme décédée en 1986 était propriétaire de trois parcelles dans une commune. Elle laisse pour lui succéder plusieurs enfants.
Trente ans plus tard, une délibération du conseil municipal de la commune a autorisé le maire à constater par arrêté l’appropriation de plein droit de ces parcelles, regardées comme des biens sans maître, sur le fondement de l’article L 1123-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP). Leur incorporation au domaine privé de la commune a été décidée par arrêté.
Une fille de la défunte assigne la commune en restitution de ces trois parcelles, au profit de l’indivision successorale.
La cour d’appel rejette la demande en restitution faute d’héritiers ayant expressément ou tacitement accepté la succession pendant le délai trentenaire.
La Cour de cassation rejette le pourvoi des enfants de la fille, venant aujourd’hui aux droits de celle-ci. En effet, l’attitude des descendants de la défunte ne caractérisait pas une acceptation tacite de la succession. Par conséquent, aucun successible ne s’était présenté avant l’expiration du délai trentenaire pour réclamer la transmission successorale des parcelles litigieuses.
A noter :
Comme le rapelle Gulsen Yildirim, professeure à l'université de Limoges, les biens qui n’ont pas de maître appartiennent à la commune sur le territoire de laquelle ils sont situés, à moins que cette dernière y renonce au profit de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont elle est membre ou, à défaut, à l’État (C. civ. art. 713). En pratique, cette situation se rencontre surtout dans des hypothèses de successions vacantes. Afin de sécuriser l’occupation que réaliserait la commune, les biens abandonnés sont considérés comme des biens sans maître lorsqu’ils font partie d’une succession ouverte depuis plus de 30 ans et pour laquelle aucun successible ne s’est présenté (CGPPP art. L 1123-1).
A contrario, le successible qui se manifeste à la succession dans le délai prévu suivant le décès du propriétaire peut faire obstacle à l’appropriation publique de ces biens. Et c’est sur ce point que le droit des successions prend le relais, puisque l’acceptation pure et simple de la succession devra être démontrée selon les règles du droit civil. Ainsi, dans l’affaire commentée, la fille de la défunte invoquait l’acceptation tacite de l’un des enfants. Or, l’acceptation, acte grave, suppose une volonté certaine de l’héritier. Certes, celle-ci peut être tacite, mais elle requiert un acte juridique ou matériel accompli par l’héritier qui suppose nécessairement son intention d’accepter et qu’il n’aurait le droit d’effectuer qu’en qualité d’héritier acceptant (C. civ. art. 782). D’ailleurs, pour limiter les contentieux, la loi précise expressément que certains actes emportent acceptation pure et simple de la succession. Il en va ainsi de la cession en connaissance de cause par l’héritier, à titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de ses droits dans la succession (C. civ. art. 783).
Visiblement, dans l’espèce, rien ne permettait de dire que des actes d’immixtion dans la succession avaient été accomplis par l’un des héritiers de la défunte. Le simple paiement de taxes foncières dues par la défunte par sa fille ou par un autre descendant n’était qu’un acte purement conservatoire, ne prouvant pas qu’ils agissaient en qualité d’héritier. Du reste, aucun dossier de succession ouvert au nom de la défunte n’avait été retrouvé dans les archives de l’étude notariale prétendument chargée de la succession aux dires de la fille. De même, aucun commencement de preuve ne démontrait que les biens litigieux auraient été détenus en indivision par l’ensemble des héritiers. C’est pourquoi, l’appropriation par la commune, qui avait respecté la procédure prévue à cet effet, n’était pas contestable.
Les descendants pouvaient légitimement se sentir lésés, notamment en raison du caractère imprescriptible du droit de propriété qui interdit que le propriétaire perde son droit par le non-usage (C. civ. art. 2227). Toutefois, les dispositions qui assurent cette transmission ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété au regard de l’utilité publique que peut représenter l’appropriation par une commune de terrains délaissés pendant une telle durée (Cass. 3e civ. 12-7-2018 n° 17-16.103 FS-PBI). La Cour de cassation a d’ailleurs refusé de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’atteinte à l’article 17 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen en considérant que la question posée n’était ni nouvelle, ni sérieuse (Cass. 3e civ. 17-6-2011 n° 11-40.014 QPC).
Il est vrai que le délai de 30 ans, similaire à celui de la prescription acquisitive, au-delà duquel aucun successible ne s’est présenté, est suffisamment long pour limiter les atteintes excessives. Cependant, les praticiens se doivent d’être vigilants dans la mesure où une modification législative postérieure au cas d’espèce a prévu un délai plus bref dans certaines hypothèses loin d’être négligeables. En effet, le délai trentenaire en matière de reconnaissance de la qualité de bien sans maître pour les biens provenant d’une succession est désormais réduit à 10 ans lorsque le bien se trouve dans certains périmètres comme celui d’une grande opération d’urbanisme (GOU), d’une opération de revitalisation de territoire (ORT), d’une zone France ruralités revitalisation (ZFRR) ou d’un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) (CGPPP art. L 1123-1, 1° modifié par la loi 2022-217 du 21-2-2022).
Par ailleurs, pour les successions ouvertes depuis le 1er janvier 2007, le délai de prescription de l’option successorale est désormais de 10 ans (C. civ. art. 780). Dans cette configuration, le maintien du délai trentenaire est discutable (CGPPP art. L 1123-1). Certes, dans notre affaire, la question ne se posait pas puisqu’elle était soumise au droit antérieur. Mais celle de l’harmonisation entre le régime de l’option et l’appropriation d’un bien sans maître par une commune au bout de 30 ans se pose sous l’empire du droit actuellement en vigueur.