Dans le cadre de la création d’un parc d’activités, plusieurs parcelles sont expropriées au profit de l’établissement public foncier (EPF) de Normandie par ordonnance du 13 janvier 2006. Le 28 novembre 2012, l’union départementale des associations familiales (Udaf) du Calvados, en sa qualité de tuteur de l’un des propriétaires expropriés, assigne l’EPF de Normandie devant le TGI de Caen afin :
de voir reconnaître « le droit à rétrocession de sa parcelle » d’une surface de 4 669 m2 ; les biens expropriés n’ayant pas reçu, dans le délai de 5 ans à compter de l’ordonnance d’expropriation, la destination prévue par la déclaration d’utilité publique (C. expr. art. L 421-1) ;
d’obtenir des dommages et intérêts « compte tenu de l’impossibilité de la rétrocession du fait de la revente des terrains » à la communauté de communes de Vire.
Le principe du droit à rétrocession est reconnu par le TGI puis confirmé par un arrêt de la cour d’appel de Caen du 3 octobre 2017. Le litige se déplace alors sur le terrain du calcul de l’indemnisation de l’exproprié.
L’Udaf du Calvados réclame notamment une indemnité d’un montant de 352 035 € correspondant à la différence entre :
la « valeur actuelle » des anciennes parcelles ;
et « le prix payé par l’expropriant revalorisé en fonction de l’érosion monétaire ».
Dans un arrêt du 28 novembre 2023, la cour d’appel de Caen fixe l’indemnité due au titre de la perte de plus-value du terrain non restituable à 14 473 € et celle au titre du préjudice de jouissance à 12 186 €. L’Udaf conteste le mode de calcul et dépose un pourvoi en cassation.
Échec. Selon la Cour de cassation, la cour d’appel a exactement fixé la perte de plus-value à la différence de valeurs des parcelles :
entre la date de l’assignation aux fins de rétrocession, soit le 28 novembre 2012 ;
et la date de reconnaissance de ce droit par la cour d’appel, soit le 3 octobre 2017.
De même, la cour d’appel a exactement retenu que le préjudice de jouissance doit être calculé :
à compter du fait générateur du dommage, qui correspond à la date de l’assignation aux fins de rétrocession, soit le 28 novembre 2012 ;
jusqu’à la reconnaissance définitive de ce droit par la cour d’appel de Caen, soit le 3 octobre 2017.
A noter :
Si les immeubles expropriés n'ont pas reçu dans le délai de 5 ans la destination prévue ou ont cessé de recevoir cette destination, les anciens propriétaires ou leurs ayants droit à titre universel peuvent en demander la rétrocession pendant un délai de 30 ans à compter de l'ordonnance d'expropriation, à moins que ne soit requise une nouvelle DUP (C. expr. art. L 421-1).
La cession par l’expropriant du bien exproprié à un tiers ou encore la réalisation d’un ouvrage public sur le terrain rend impossible l’action en rétrocession. L’ancien propriétaire peut alors demander des dommages-intérêts devant le juge civil de droit commun (Cass. 3e civ. 17-11-1993 n° 90-18.954 : AJDI 1994 p. 214).
L’indemnisation doit réparer la privation de la plus-value générée par les biens depuis leur acquisition par l'expropriant (Cass. 3e civ. 30-1-2019 n° 17-28.748 : AJDI 2019 p. 298). La Cour de cassation avait déjà précisé que le point de départ de la période à prendre en compte pour évaluer le préjudice subi par l’exproprié est :
« non pas la date à laquelle le bien a été exproprié » ;
mais la date de l'assignation aux fins de rétrocession, « qui constitue la mise en demeure de l'autorité expropriante de restituer son bien à l'exproprié » (Cass. 3e civ. 17-7-1997 n° 95-17.530 : AJDI 1997 p. 1092).
En revanche, c’est la première fois à notre connaissance que les Hauts Magistrats se prononcent sur le terme de la période préjudicielle. Raisonnant par analogie, les Hauts Magistrats rappellent que :
« la rétrocession lorsqu'elle est possible, suppose le rachat par l'exproprié de son bien à sa valeur résultant de sa qualification à la date à laquelle le droit de rétrocession a été définitivement reconnu (Cass. 3e civ. 26-2-1997 n° 96-70.022 : AJDI 1997 p. 769) ;
cette date constitue, lorsque la rétrocession est impossible, le terme de la période préjudicielle ».
Dans l’affaire ici analysée, la valeur de la parcelle expropriée était de 22 €/m2 le 3 octobre 2017 (date de l’arrêt de la cour d’appel de Caen) et de 18,90 €/m2 le 28 novembre 2012 (date de l’assignation). Le calcul de la plus-value s’établit donc comme suit : (22 € × 4 669 m2) — (18,90 × 4 669 m2) = 14 473,90 €.
Lorsqu’il fixe les dommages-intérêts dus en cas de rétrocession impossible, le juge doit également tenir compte du préjudice de jouissance des anciens propriétaires qui, comme le rappelle la cour d’appel de Caen, « ne se confond pas avec la plus-value perdue ». Pour la première fois à notre connaissance, la Cour de cassation se prononce sur la période à prendre en compte pour évaluer ce préjudice. Tout comme le préjudice résultant de la perte de plus-value, le préjudice de jouissance court :
« de la date de l'assignation aux fins de rétrocession, qui constitue la mise en demeure de l'autorité expropriante de restituer son bien à l'exproprié » (et non pas à la date à laquelle l’exproprié est privé de sa propriété comme le revendiquait l’Udaf dans son pourvoi) ;
au jour où le droit de rétrocession a été définitivement reconnu ».
Sur la base d’une valeur du terrain fixée à 102 718 € au 3 octobre 2017 et compte tenu des taux d’intérêts légaux « de 2012 à 2017 », la cour d’appel de Caen fixe l’indemnisation au titre du préjudice de jouissance à la somme de 12 189 €.
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