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Pour la Chancellerie, le gratifié en pleine propriété peut cantonner en démembrement

Si le gratifié a la liberté de renoncer à la pleine propriété d’un bien dans l’exercice de son droit de cantonnement, il doit pouvoir, a minima, choisir de limiter la portée du leg qui lui a été fait à la seule nue-propriété ou à l’usufruit.

Rép. Dumoulin : Sén. 21-8-2025 n° 4109 ; Rép. Bergantz : AN 26-8-2025 n° 2998


Par Emmanuel de LOTH
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©Gettyimages

Depuis la réforme des successions et des libéralités de 2006, les légataires et le conjoint survivant gratifié peuvent cantonner leur émolument à une partie de ce dont il a été disposé en leur faveur. Pour deux parlementaires, se pose la question de savoir si le cantonnement permet de renoncer uniquement à la nue-propriété d’un bien tout en conservant l’usufruit.

Par deux réponses rédigées en des termes identiques, le garde des Sceaux apporte les précisions suivantes. La loi 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités a offert au légataire (C. civ. art. 1002-1) et au conjoint survivant gratifié à cause de mort (C. civ. art.1094-1, al. 2), sous réserve que le disposant ne s’y est pas opposé, la possibilité de cantonner leur émolument à une partie des biens dont il a été disposé en leur faveur, sans que cette limitation ne soit considérée comme une libéralité faite aux autres successibles. La circulaire du 29 mai 2007 relative à la présentation de la réforme des successions et des libéralités précise que « le cantonnement implique préalablement que la vocation successorale a été acceptée et que cette acceptation est accompagnée ou suivie du choix de n’en profiter qu’en partie, cette partie pouvant être déterminée (en portant sur tel bien compris dans l’émolument), indivise (une quote-part de biens) ou ne porter que sur un droit réel tel l’usufruit ou la nue-propriété » (Circ. min. justice JUSC0754177C p. 10). Cette souplesse dans les modalités du cantonnement est conforme à l’esprit du texte qui est d’offrir un outil permettant d’adapter la transmission en fonction de la casuistique des situations patrimoniales et familiales. Ainsi, si le gratifié a la liberté de renoncer à la pleine propriété d’un bien, il doit pouvoir, a minima, choisir de limiter la portée du leg qui lui a été fait à la seule nue-propriété ou à l’usufruit.

En tout état de cause, la pratique notariale peut résoudre la difficulté en prévoyant expressément dans le legs ou l’institution contractuelle entre époux, dès lors que cela est conforme à la volonté du disposant, une clause aux termes de laquelle le légataire ou le conjoint survivant est autorisé à modifier la nature du droit transmis par voie de cantonnement.

A noter :

L’une des questions les plus délicates sur le mécanisme du cantonnement des libéralités est effectivement celle de savoir si le donataire ou légataire doit s’en tenir à la nature même des droits qui lui sont conférés, ou s’il peut, dans certains cas, cantonner sur un droit d’une autre nature.

Il n'est pas contesté, par exemple, qu'une disposition en usufruit seulement ne pourrait pas être cantonnée en pleine propriété, car alors le gratifié prétendrait à autre chose qu'à ce qui lui a été donné ou légué, ce que le cantonnement n'autorise pas.

Mais à l'inverse, le gratifié institué en pleine propriété peut-il cantonner en usufruit seulement ? Autrement dit, l'usufruit est-il une partie de ce qui a été donné ou légué ? Certains auteurs répondent à cette question en considérant que la pleine propriété contient nécessairement l'usufruit (en ce sens, F. Sauvage, Le cantonnement des libéralités : Defrénois 15-5-2010 n° AD2010DEF1027N1 p. 1027 § 31 ; P. Murat, Les choix des héritiers quant à l'objet reçu : l'exemple du cantonnement : Defrénois 15-1-2017 n° 125g0 p. 17 § 30 s. ; P. Delmas Saint-Hilaire, Les ajustements techniques de la loi du 23 juin 2006 : entre modernisation, correction et interprétation : Dr. et patrimoine n° 157 du 1-3-2007 note 65 ; J.-Cl. Civil Code, Art. 1002-1 par R. Le Guidec, n° 25). Comme le précise la Chancellerie, la circulaire de 2007 est également en ce sens. Une position partagée par une partie de la pratique notariale (Rapport du 108e congrès des notaires de France, La transmission, Montpellier, 2012, n° 3482). Mais d'un autre côté, si l'on envisage l'intention du disposant et la situation des héritiers après cantonnement, est-ce la même chose de léguer une partie d'un bien en pleine propriété et de l'usufruit ? On est en droit d'hésiter, et pour d'autres auteurs la réponse est incertaine, voire clairement négative (C. Bahurel : Les volontés des morts, thèse Paris 2, LGDJ, 2014, n° 740 ; B. Vareille, La loi du 23 juin 2006, dix ans après : propos cursifs sur quelques questions liquidatives choisies : Gaz. Pal. 31-5-2016 spécialement nos 27 et 28 ; M. Grimaldi : Droit des successions, LexisNexis, 8e éd., 2020, n° 527 ; C. Pérès et C. Vernières : Droit des successions, Puf, coll. Thémis, 2018, n° 511 ; P. Malaurie et C. Brenner : Droit des successions et des libéralités, Lextenso, 11e éd., 2024, n° 467). 

La réponse est sans doute à chercher dans l'intention du disposant et pour éviter cette difficulté, il est souhaitable qu'il s'exprime à ce sujet, dans sa libéralité, sur l'étendue de la liberté qu'il entend conférer à son gratifié, ce que la Chancellerie prend soin de suggérer.

Rappelons pour terminer qu’une réponse ministérielle ne lie pas les juges, qui restent souverains dans l'exercice de leur pouvoir juridictionnel (Rép. civ. Dalloz, v. « Loi et règlement » par V. Lasserre, n° 232).

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© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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