Après s’être consentis une donation au dernier vivant, des époux initialement mariés sous le régime de la communauté d’acquêts optent pour le régime de la communauté universelle, à l’exception des biens propres par nature et des biens immobiliers appartenant à l’épouse. Leur convention matrimoniale prévoit par ailleurs l’attribution au survivant, à son choix, soit de la totalité en toute propriété des biens communs, soit de la moitié en pleine propriété et l’autre moitié en usufruit. Au décès de son épouse, le mari opte pour la pleine propriété de l’ensemble des biens communs au titre de la convention matrimoniale et pour l’usufruit de la totalité des biens de la succession au titre de la donation entre époux.
Outre son mari, l’épouse laisse leurs deux enfants communs, une fille et un fils. Ce dernier assigne alors son père et sa sœur, qui s’y opposent, aux fins de voir ordonner l’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession ainsi que, le cas échéant, de la communauté. Il réclame par ailleurs le rapport et la réduction éventuelle des donations consenties par la défunte.
Si elle relève que les deux enfants ont bien la qualité de nus-propriétaires des biens de la succession, la cour d’appel juge l’action du fils irrecevable au motif qu’un partage n’est pas possible entre usufruitier et nus-propriétaires. Les demandes en rapport et réduction des donations ne pouvant être ordonnées que lors d'une instance en liquidation et partage d'une succession, celles-ci sont tout autant irrecevables.
Censure de la Cour de cassation au visa de l’article 815 du Code civil selon lequel nul ne peut être contraint à demeurer dans l'indivision et le partage peut toujours être provoqué, à moins qu'il n'y ait été sursis par jugement ou convention. Ayant constaté l'existence d'une indivision successorale entre le frère et la sœur portant sur la nue-propriété des biens dépendant de la succession, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé.
Statuant au fond (C. org. jud. art. L 411-3, al. 2 ; CPC art. 627), la Cour de cassation relève que, malgré l'adoption par le défunt d'un régime de communauté universelle de biens avec clause d'attribution intégrale au conjoint survivant, un héritier réservataire peut prétendre, le cas échéant :
au partage des biens demeurés propres au défunt sur lesquels il détient une quote-part indivise, étant précisé que l'indivision peut porter sur la pleine propriété de ces biens ou l'un de ses démembrements ;
au rapport ou à la réduction des libéralités consenties par le défunt.
L’action du fils est donc recevable.
A noter :
1. Il ne peut y avoir d’indivision qu’entre droits de même nature portant sur un même bien ou une même masse de bien. Dès lors, il n’existe pas d’indivision entre usufruitier et nu-propriétaire (Cass. 1e civ. 25-11-1986 n° 85-10.548 : Bull. civ. I n° 282 ; Cass. 3e civ. 7-7-1993 n° 92-19.193 : Bull. civ. III n° 112), de sorte qu’il ne peut être mis fin au démembrement par la voie d’une demande en partage (Cass. req. 27-7-1869 : DP 1871 I p. 170). En revanche, il y a bien indivision lorsqu’elle porte sur la pleine propriété, l’usufruit seulement ou encore la nue-propriété seulement, comme c’était le cas dans la décision rapportée. L’usufruitier ou le nu-propriétaire peut alors demander le partage de la seule indivision dans laquelle il détient une quote-part. Ce partage s’effectuera par voie de cantonnement de son droit sur un bien particulier (partage en nature de l’usufruit ou de la nue-propriété) ou, en cas d’impossibilité, par voie de licitation (vente à un tiers) du seul usufruit ou de la seule nue-propriété (C. civ. art. 817 et 818). Dans ce dernier cas, la sortie de l’indivision risque toutefois de s’effectuer au prix d’une perte économique importante, l’adjudicataire se voyant obligé à coexister avec l’usufruitier ou le nu-propriétaire (F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet : Les successions. Les libéralités, Dalloz 5e éd. 2024, n° 1040). Ainsi, sous réserve de l’opportunité d’une telle action, le fils avait parfaitement le droit, dans notre affaire, d’agir en partage de la nue-propriété.
Signalons par ailleurs qu’en cas d’indivision en usufruit, l’un des indivisaires peut demander la licitation de la pleine propriété à condition qu’elle apparaisse comme seule protectrice de l’intérêt de tous les titulaires de droits sur le bien indivis (C. civ. art. 817). Sous la même condition, le juge peut, en cas d’indivision en nue-propriété, ordonner la licitation de la pleine propriété à la demande d’un nu-propriétaire. Dans ce cas, une telle licitation ne peut toutefois intervenir contre la volonté de l’usufruitier (C. civ. art. 818 renvoyant à l’art. 815-5, al. 2). Autant dire qu’une telle hypothèse était ici exclue au regard de la position du père.
2. Cette décision rappelle par ailleurs qu’une clause d'attribution intégrale au conjoint survivant associée à une communauté universelle ne dispense pas mécaniquement de régler la succession de l'époux prémourant. C’est le cas, alors même que l'actif successoral serait « vidé » de tous biens existants par l’effet de ce mécanisme matrimonial, lorsque cet époux a consenti des donations, les valeurs rapportables ou réductibles tombant dans la masse successorale (C. civ. art. 825, al. 2 ; Cass. 1e civ. 19-12-2012 n° 11-25.400 D ; Cass. 1e civ. 3-4-2019 n° 18-13.890 F-PB : BPAT 3/19 inf. 108, RTD civ. 2019 p. 646 obs. B. Vareille, RTD civ. 2020 p. 169 obs. M. Grimaldi). C’est également le cas lorsque cet époux laisse des biens propres : ici, biens propres par nature et immeubles lui appartenant, exclus de la communauté universelle aux termes de la convention matrimoniale.