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Libéralité pouvant résulter de la vente par un père à son fils de terres louées à ce dernier

L'existence d'une libéralité rapportable pouvant résulter de la minoration du prix de vente de terres agricoles à son enfant doit s'apprécier au regard de la valeur réelle des terres au jour de leur vente, considération prise de l'existence du bail consenti à cet enfant.

Cass. 1e civ. 26-3-2025 n° 22-23.937 FS-B


Par Emmanuel de LOTH
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@Getty images

Un père vend à son fils et à l’épouse de celui-ci un ensemble de terres agricoles dont le fils était preneur à bail. Le père décède deux ans plus tard, laissant son fils et sa fille. Des difficultés survenant lors du règlement de la succession, la fille assigne son frère en ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage. Aux yeux de la sœur, le prix de vente des terres aurait été minoré, de sorte que son frère devrait rapporter à la succession l’avantage qui en est résulté pour lui. Le frère estime quant à lui qu’il n’y a eu aucune minoration du prix, les terres devant être évaluées comme étant occupées. Il s’appuie d’ailleurs sur la jurisprudence rendue en matière de droit de préemption du fermier, laquelle impose au juge saisi pour déterminer la valeur vénale du bien concerné de prendre en compte la moins-value résultant de l’existence du bail.

Un expert est désigné pour évaluer les terres au jour de la vente. La cour d’appel lui donne mission d’estimer les terres libres de toute occupation. Du fait de l’acquisition, le bail dont bénéficiait le fils a en effet cessé, de sorte que celui-ci est devenu propriétaire de terres libres. Quant à l’argument tiré de la jurisprudence sur le droit de préemption, la cour d’appel estime que cette situation particulière justifie une solution qui lui est propre, destinée à promouvoir et/ou protéger l’installation du preneur. Une telle solution n’a pas vocation à s’appliquer en matière de rapport successoral, lequel a pour objectif de garantir l’égalité des héritiers.

Censure de la Cour de cassation au visa de l’article 843 du Code civil. « Il résulte de ce texte que seule une libéralité, qui suppose un appauvrissement du disposant dans l'intention de gratifier son héritier, est rapportable à la succession. L'existence de l'élément matériel d'une libéralité rapportable pouvant résulter de la minoration du prix de vente de terres agricoles à un héritier présomptif doit s'apprécier au regard de la valeur réelle des terres au jour de leur vente, considération prise de l'existence d'un bail, peu important que celui-ci ait été consenti à cet héritier. »

A noter :

Revirement de jurisprudence. Dans une affaire similaire jugée en 2015, la Cour de cassation avait retenu la solution exactement inverse. Il s’agissait de deux époux ayant cédé à l’une de leurs filles et à son mari leur exploitation et des terres agricoles prises à bail par ces derniers. Au décès du père, l’autre fille du couple a assigné sa mère et sa sœur en demandant qu’il soit jugé que ces cessions constituaient des donations indirectes justifiant le rapport à la succession de la différence entre le prix de vente de ces biens et leur vénale réelle. Pour la Cour de cassation, « c’est à bon droit que la cour d'appel a décidé que les terrains agricoles litigieux devaient être estimés comme libres de bail dès lors que cette estimation, destinée à assurer l'égalité entre les copartageants, concernait un bien qui, par l'effet de son attribution à l'héritier qui en était preneur et de la réunion sur la tête de celui-ci des qualités incompatibles de propriétaire et de fermier, avait cessé d'être grevé du bail dont il était auparavant l'objet » (Cass. 1e civ. 21-10-2015 n° 14-24.926 F-PB : BPAT 6/15 inf. 229, JCP N 2016 n° 1005 note F. Collard ; voir également, s’agissant du calcul de la réserve et de la quotité disponible en présence d’une donation portant sur le bien loué lui-même, Cass. 1e civ. 14-10-1981 n° 79-15.946 : Bull. civ. I n° 296, RTD civ. 1982 p. 641 obs. J. Patarin). La solution pouvait s’appuyer sur une doctrine éminente (P. Catala : La réforme des liquidations successorales, Defrénois, 3e éd., 1982 n° 36 p. 100).

Dans l’affaire rapportée, l’avocate générale concluait en faveur de l’évolution de la position de la Cour, estimant notamment qu’il faut raisonner par analogie avec la jurisprudence retenue pour l’évaluation du bien soumis au droit de préemption du fermier, laquelle prescrit de tenir compte de la moins-value résultant de l’existence d’un bail (Cass. 3e civ. 12-11-1980 n° 79-11.166 : Bull. civ. III n° 174 ; Cass. 3e civ. 7-11-1990 n° 89-12.226 : Bull. civ. III n° 220 ; Cass. 3e civ. 9-11-2011 n° 10-24.687 : Bull. civ. III n° 192). Et ce, bien que l’argument ait été vainement soutenu devant la cour d’appel (Avis de Mme Picot-Demarcq p. 9-10). Désormais, c’est donc la valeur occupée qui doit servir de référence. Pour autant, la solution, qui ne convainc pas totalement, doit-elle être étendue au cas où la donation porte directement sur le bien loué lui-même ? Il nous semble que non, notamment parce que l’analogie avec la jurisprudence rendue en matière de préemption serait ici hors de propos.

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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