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Le sort du droit de suite à la mort de l’auteur

La dévolution - légale comme testamentaire - du droit de suite obéit à des règles particulières." L’interprétation du texte applicable étant discutée, l’auteur doit être guidé dans la rédaction de son testament. Tour d'horizon avec Emilie Finot, notaire et Julie Boireau, juriste au sein de l'étude Cheuvreux. 


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1. En plus des traditionnels droits patrimoniaux de représentation et de reproduction, la loi attribue aux auteurs d’œuvres graphiques et plastiques telles que les sculptures ou les peintures, une prérogative supplémentaire : le droit de suite (CPI art. L 122-8) (sur la dévolution des droits d’auteur autres que le droit de suite, voir notre motion design Droit d’auteur : dévolution typique et atypique). Il permet au créateur de profiter d’une partie du prix des reventes successives de ses créations.

2. Comme tous les droits patrimoniaux de l’auteur sur ses créations, le droit de suite dure toute la vie de l’auteur et soixante-dix ans après sa mort (CPI art. L 123-1). Il se transmet donc à cause mort, mais selon des règles spéciales. Le Code de la propriété intellectuelle prévoit en effet un ordre de dévolution qui lui est propre (CPI art. L 123-7). Dans sa version actuelle, le texte prévoit :

« I.- Après le décès de l’auteur, le droit de suite mentionné à l’article L 122-8 subsiste au profit de ses héritiers et, pour l’usufruit prévu à l’article L 123-6, de son conjoint, pendant l’année civile en cours et les soixante-dix années suivantes.

Sous réserve des droits des descendants et du conjoint survivant non divorcé, l’auteur peut transmettre le droit de suite par legs.

En l’absence d’héritier et de legs du droit de suite, ce dernier revient au légataire universel ou, à défaut, au détenteur du droit moral. 

II.- En l'absence d'ayant droit connu, ou en cas de vacance ou de déshérence, le tribunal judiciaire peut confier le bénéfice du droit de suite à un organisme de gestion collective […]. »

3. À première lecture, la dévolution du droit de suite semble s’établir comme suit : au légataire à titre particulier de cette prérogative, à défaut aux héritiers désignés par la loi, à défaut au légataire universel, à défaut au titulaire du droit moral et, en l’absence de toute ces personnes, à un organisme de gestion collective.
Ce texte, ainsi rédigé depuis la loi 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine, a eu un apport majeur : autoriser l’auteur à léguer son droit de suite qui n’était auparavant transmis qu’aux héritiers légaux. Cependant, lors de sa mise en pratique, il s’avère que cet article est source de nombreuses interrogations, dont une sur la définition à retenir du terme « héritier » dans l’alinéa 3 du I.

D’autres débats ont été suscités par cet article, notamment sur l’interprétation à retenir de l’alinéa 2 et sur l’application du texte dans le temps. Ces questions ne sont pas directement traitées ici. On peut toutefois préciser que l’alinéa 2 du texte est appréhendé majoritairement comme autorisant le legs du droit de suite, mais dans la limite de la réserve héréditaire. Quant à l’application de la loi dans le temps, une réponse ministérielle a apporté un début de réponse (Rép. Leleux : Sén. 16-11-2017 n° 548).

4. Pour en comprendre les enjeux pratiques, il est possible de partir d’un exemple. Un sculpteur meurt sans laisser de descendant ou de conjoint survivant. Dans son testament, il a exprimé le souhait que son meilleur ami reçoive tout son patrimoine, en ce compris ses droits d’auteurs. Peut-on aujourd’hui attribuer le droit de suite à ce légataire universel ? Tout va dépendre de l’interprétation retenue de l’article L 123-7

Dans notre exemple, nous n’avons pas de légataire à titre particulier, mais un légataire universel. Le réflexe serait donc de transmettre l’ensemble de son patrimoine au légataire universel en l’absence de réservataire. Cependant, suivant l’ordre de dévolution posé par le texte, une vérification supplémentaire semble être nécessaire : la recherche des « héritiers ». Se pose alors la question de savoir ce qu’il faut entendre par le terme « héritier ».

5. Deux approches sont possibles.  

Premièrement, par « l’absence d’héritier », il est possible de comprendre l’absence de tout successeur désigné par la loi. Il faut alors rechercher tous les héritiers légaux jusqu’au sixième degré (C. civ. art. 745) avant d’attribuer le droit de suite au légataire universel. Cette interprétation est celle qui remporte le plus de suffrages (en ce sens, F. Duret-Robert : Dalloz action Droit du marché de l’art 2021-2022, n° 615.62 ; S. Berre et J. Lauter, La dévolution successorale du droit d’auteur : règles générales : Juris art etc. 2017 n° 51 p. 17 ; C. Alleaume, Propriété intellectuelle : novembre 2015/novembre 2016, Légipresse 2016 p. 687 n° 8). Elle est conforme aux propos tenus lors des débats à l’Assemblée nationale et au Sénat (en ce sens, T. Azzi et S. Auger, Les nouvelles règles de dévolution successorale du droit de suite (ou comment transformer une bonne idée en un mauvais texte) : D. 2016 p. 2416 n° 13). Elle fait néanmoins l’objet de nombreuses critiques car elle conduira presque toujours à préférer un lointain parent – que l’auteur ne connaissait peut-être même pas – à la personne choisie par ses soins (en ce sens, T. Azzi et S. Auger, précités). Enfin, s’ajoute qu’en pratique la recherche des héritiers pourra parfois être plus coûteuse que ce que le droit de suite pourra rapporter jusqu’à son terme.

Deuxièmement, le terme « héritier » peut être entendu plus strictement à la lumière de l’alinéa précédent, qui ne vise que les descendants et le conjoint survivant (en ce sens, A. Passot et B. Dauchez, Réforme du droit de suite : accompagner l’artiste pour la rédaction de son testament : JCP N 2017 n° 1174 § 9 ; évoquant également cette possible interprétation, voir T. Azzi et S. Auger, précités). En référence à ces derniers, il ne serait alors plus question que des héritiers réservataires, qui sont automatiquement recherchés en présence d’un légataire universel pour éviter toute atteinte à la réserve. Par conséquent, si l’entier patrimoine a été attribué au légataire universel, ce dernier reçoit également le droit de suite sans avoir à pousser les recherches généalogiques plus loin. À la différence de la précédente interprétation, celle-ci peut paraître plus éloignée du texte. Toutefois, elle semble en suivre la logique d’ensemble. De plus, cette seconde interprétation apparaît plus facile à mettre en œuvre et plus respectueuse des souhaits de l’auteur décédé.

Ainsi, dans notre exemple, si la première interprétation est retenue et qu’un lointain cousin est retrouvé, celui-ci primera le légataire universel choisi par le sculpteur. En revanche, si c’est la seconde approche qui est appliquée, le constat de l’absence de descendant et de conjoint successible suffit et le légataire universel reçoit tous les biens de l’auteur, dont le droit de suite.

6. Alors faut-il choisir une interprétation proche du texte – et des travaux préparatoires – ou une approche plus pragmatique ?

Il n’est pas ici question de trancher la question, mais d’insister sur la nécessité aujourd’hui de guider l’auteur titulaire d’un droit de suite dans la rédaction de son testament. Ainsi, dans l’attente d’une intervention du juge ou du législateur, il y a lieu de prévenir toute difficulté à travers une rédaction évitant de devoir s’interroger sur la signification du terme « héritier » visé à l’alinéa 3 de l’article L 123-7, I du Code de la propriété intellectuelle lors du règlement de la succession de l’auteur.

7. Dès qu’un auteur souhaite attribuer l’universalité de son patrimoine à une personne, y compris son droit de suite, le recours au mécanisme du legs universel n’est pas suffisant au regard de ce texte. Il est préconisé d’y adjoindre expressément un legs à titre particulier du droit de suite au profit du même gratifié pour évacuer tout sujet d’interprétation du texte. Ainsi est-il possible de prévoir : « je lègue tout mon patrimoine à XX. En outre, je lui lègue mon droit de suite sur mes œuvres ».

8. Il est possible de considérer qu’une telle précaution vaut également pour le legs du monopole d’auteur. Puisque le droit de suite est transmis à cause de mort selon des règles spécifiques, il est préconisé d’en préciser le sort : « je lègue à XX mes droits d’auteur ; en outre, je lui lègue mon droit de suite sur mes œuvres ».

Par Emilie FINOT, notaire et Julie BOIREAU, juriste au sein de l'étude Cheuvreux

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne