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Accueil/ Actualités - La Quotidienne/ Social/ Rupture du contrat de travail

Transfert d’entreprise : le cessionnaire peut se prévaloir du PV de carence établi par le cédant

Le procès-verbal de carence rédigé par l’ancien employeur, à la suite de l’organisation des élections professionnelles, continue de produire ses effets chez le nouvel employeur après la cession de l’entreprise.

Cass. soc. 6-3-2019 n° 17-28.478 F-PB


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La Cour de cassation se prononce, pour la première fois à notre connaissance, sur la question de savoir si le procès-verbal de carence des institutions représentatives du personnel établi antérieurement à la modification de la situation juridique de l’employeur continue de produire ses effets après la date du transfert d’entreprise. Elle répond par l’affirmative dans une affaire où le procès-verbal de carence rédigé par le cédant a été produit par le cessionnaire pour démontrer la licéité du licenciement pour inaptitude physique de l’un de ses salariés malgré l’absence de consultation des délégués du personnel.

Un PV de carence peut justifier l’absence de consultation des représentants du personnel

En l’espèce, le 20 mai 2013, une société a repris, en application de l’article L 1224-1 du Code du travail, l’ensemble des contrats de travail des salariés d’une autre société. Quelques mois avant ce transfert, le cédant avait constaté, dans un procès-verbal établi le 21 décembre 2012 à la suite de l’organisation des élections des délégués du personnel, la carence des institutions représentatives du personnel, conformément à l’article L 2314-5 du Code du travail alors applicable. Le 23 octobre 2014, soit plus d’un an après la cession, le nouvel employeur a prononcé le licenciement d’un salarié pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement.

Le salarié inapte a alors saisi le juge pour contester la validité de la rupture de son contrat de travail, reprochant au cessionnaire de ne pas avoir respecté son obligation de reclassement préalable, notamment en raison de l’absence de consultation des représentants du personnel. En effet, en vertu de l’article L 1226-10 du Code du travail, dans sa rédaction en vigueur au moment des faits, l’employeur aurait dû recueillir l’avis des délégués du personnel sur les propositions de reclassement soumises à l’intéressé. Or, dans cette affaire, cette obligation n’avait pas pu être remplie par l’entreprise, qui, bien qu’atteignant l’effectif de 11 salariés, n’était tout simplement pas dotée d’une telle institution.

Pour se défendre, le nouvel employeur a produit le procès-verbal de carence établi par l’ancien employeur avant la cession de l’entreprise. Il estimait ainsi démontrer qu’il n’avait aucunement manqué à son obligation de consulter les délégués du personnel, en raison de leur absence, et qu’il avait par conséquent respecté la procédure de reclassement du salarié inapte avant d’envisager son licenciement. La Cour de cassation admet en effet que l’employeur justifie de l’absence de consultation des délégués du personnel sur le reclassement d’un salarié inapte par la production d’un procès-verbal de carence aux élections (notamment Cass. soc. 28-4-2011 n° 09-71.658 F-D).

La cour d’appel de Bourges a donné raison à l’employeur et débouté le salarié de sa demande. Selon les juges du fond, le cessionnaire pouvait bien se prévaloir du procès-verbal de carence établi par le cédant. La Cour de cassation ne suit pas non plus la position du salarié et rejette son pourvoi. À l’inverse, elle approuve l’argumentation juridique des juges du fond qui repose, d’une part, sur les conséquences de l’autonomie de l’entité transférée et, d’autre part, sur la durée de validité du procès-verbal de carence.

Le cessionnaire peut produire le PV de carence du cédant si l’entreprise a conservé son autonomie

Pour la Haute Juridiction, en relevant que la société avait été cédée en sa totalité pour devenir une nouvelle société, les juges du fond ont ainsi caractérisé le fait que cette dernière avait gardé toute son autonomie. Or, lorsque l’entité économique cédée conserve son autonomie, les mandats des délégués du personnel se poursuivent chez le nouvel employeur (Cass. soc. 28-6-1995 n° 94-40.362 PB). Les juges en ont justement déduit qu’en l’absence de représentants du personnel, le procès-verbal de carence demeurait valable après la cession.

Évidemment, cette solution ne vaut que si l’entreprise cédée conserve son autonomie. Si ce n’est pas le cas, par exemple dans l’hypothèse d’un transfert partiel d’activité sans constitution d’un établissement distinct, l’opération emporte en effet cessation des mandats des représentants du personnel dont le contrat s’est poursuivi avec le nouvel employeur à la date du transfert (Cass. soc. 17-12-2008 n° 07-42.839 F-D). Par conséquent, dès lors que les conditions de maintien des mandats ne sont pas remplies, le nouvel employeur ne peut pas invoquer le procès-verbal de carence établi par son prédécesseur.

Le PV de carence est valable jusqu’à l’échéance électorale suivante

La Cour de cassation rappelle que, sauf demande d’organisation de nouvelles élections par un salarié ou une organisation syndicale sur le fondement de l’article L 2314-4 du Code du travail alors applicable, le procès-verbal de carence produit ses effets jusqu’à la date à laquelle doivent être organisées les nouvelles élections. Cette position ressortait déjà d’un arrêt de la Haute Juridiction rendu en 2016 dans le contexte particulier de l’allongement de la durée des mandats par la loi 2005-882 du 2 août 2005 (Cass. soc. 11-5-2016 n° 14-12.169 FS-PB). L’administration a adopté, dans le cadre des précisions apportées lors de la mise en place du comité social et économique, un point de vue identique (QR min. trav. du 19-4-2018).

A notre avis : Si la durée des mandats des représentants du personnel a été modifiée par un accord collectif applicable dans l’entreprise cédante, c’est alors cette durée qui devrait être prise en compte pour la durée de validité du procès-verbal de carence.

En l’espèce, la durée du mandat des délégués du personnel étant fixée à 4 ans et en l’absence de demande par un salarié ou une organisation syndicale de l’engagement du processus électoral, le procès-verbal était donc valable du 21 décembre 2012, date du second tour des dernières élections, au 21 décembre 2016. Ce document était dès lors bien opposable, en octobre 2014, au moment de la procédure de licenciement du salarié inapte. Par suite, il ne pouvait pas être reproché au nouvel employeur de ne pas avoir consulté les délégués du personnel sur les propositions de reclassement du salarié inapte.

Une solution transposable au comité social et économique

Même si la Cour de cassation n’a pas adopté d’attendu général dans son arrêt, se contentant de valider le raisonnement de la cour d’appel de Bourges, nous pouvons penser sans risque que cette solution, rendue sous l’empire du Code du travail dans sa version antérieure à l’ordonnance 2017-1386 du 22 septembre 2017 réformant la représentation du personnel, est applicable dans les mêmes conditions en cas de carence aux élections des membres du comité social et économique (CSE).

En effet, l’article L 2314-35 du Code du travail prévoit que les mandats des membres élus du CSE subsistent après un transfert de l’entreprise dès lors que celle-ci conserve son autonomie juridique. Si un procès-verbal de carence a été établi à la suite des élections, conformément à l’article L 2314-9 du même Code, le cessionnaire de l’entreprise pourra donc s’en prévaloir, pendant sa durée d’effet, pour justifier l’absence de consultation préalable des membres du CSE, chaque fois que celle-ci sera requise, comme c’était le cas ici dans le cadre de l’obligation de reclassement du salarié inapte, dès lors que l’entreprise conserve son autonomie.

A noter : Comme l’ancien article L 2314-28 du Code du travail avant lui, l’actuel article L 2314-35 de ce Code impose, pour que subsiste le mandat des membres du CSE, que l’entreprise conserve son autonomie « juridique ». Toutefois, le droit européen exige seulement le maintien de l’autonomie de l’entité cédée, sans plus de précision (Dir. 2001/23 du 12-3-2001 art. 6.1). Interprétant le droit français à la lumière de la norme européenne, la Cour de cassation juge par conséquent que le mandat subsiste dès lors que l’entreprise conserve en fait son autonomie, peu important qu’elle ait perdu son autonomie juridique (notamment Cass. soc. 3-5-2007 n° 06-40.119 F-D).

Guilhem POSSAMAI

Pour en savoir plus sur l'incidence d'un transfert d'entreprise sur la représentation du personnel : voir Mémento Social nos 74915 s.

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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