De nombreuses mesures peuvent être envisagées par l’employeur en matière de réaménagement des horaires de travail : notamment, nouvelle répartition des horaires au sein de la journée ou de la semaine, passage d’un horaire fixe à un horaire variable, d’un horaire continu à un horaire discontinu, d’un travail de jour à un travail de nuit ou, comme en l’espèce, instauration d’ horaires décalés par rapport à l’horaire collectif. Les horaires décalés font partie des horaires dits « atypiques » dont la mise en place peut être subordonnée à la conclusion préalable d’une convention ou d’un accord collectif de travail.
Une société avait ainsi conclu en 1997, pour une durée indéterminée, un accord collectif instituant sur l’un de ses sites pour des salariés volontaires une organisation de travail en « horaires décalés » afin d’améliorer sa compétitivité en augmentant la durée d’utilisation des équipements. Le texte prévoyait qu'un avenant à leur contrat de travail serait établi pour la durée de cet aménagement spécifique.
Les salariés ont donc conclu des avenants stipulant qu’ils prendraient fin « à la date fixée par la hiérarchie en fonction des besoins du service ». A l’exception toutefois d’un salarié pour lequel plusieurs avenants à durée déterminée se sont succédé avec des termes précis.
En 2015, la société a notifié aux salariés concernés la fin de l’organisation en horaires décalés à l’issue d’un délai de prévenance d’un mois et leur retour à l’horaire collectif de travail. Contestant cette décision, les intéressés ont saisi le juge invoquant une modification unilatérale de leur contrat de travail. Dans deux arrêts du 30 juin 2021, la chambre sociale de la Cour de cassation adopte deux solutions distinctes faisant application de sa jurisprudence en la matière.
Le changement d’horaire relève en principe du pouvoir de direction de l’employeur, sauf contractualisation
La chambre sociale a jugé que, sauf atteinte excessive au droit du salarié au respect de sa vie personnelle et familiale ou à son droit au repos (Cass. soc. 3-11-2011 n° 10-14.702 : RJS 1/12 n° 10), l’employeur est libre, en vertu de son pouvoir de direction, d’instaurer une nouvelle répartition des horaires de travail sur la journée ou sur la semaine (Cass. soc. 22-2-2000 n° 97-44.339 PB : RJS 4/00 n° 374 ; Cass. soc. 16-45-2000 n° 97-45.256 : RJS 7-8/00 n° 771 FS-P ; Cass. soc. 2-4-2014 n° 13-11.060 FS-PB : RJS 6/14 n° 465). Dès lors que la durée du travail et la rémunération contractuelle restent identiques (Cass. soc. 9-4-2002 n° 99-45.155 FS-P : RJS 7/02 n° 785), le nouvel horaire constitue alors un simple changement des conditions de travail ne nécessitant pas l’accord préalable du salarié.
Cependant, le réaménagement des horaires de travail échappe au pouvoir de direction de l’employeur lorsqu’il porte sur un élément que les parties ont considéré comme déterminant au moment de la conclusion du contrat de travail ou qu’il implique un bouleversement complet des horaires antérieurement pratiqués par le salarié. Dès lors la modification de l’horaire de travail ainsi contractualisé constitue une modification du contrat de travail que le salarié est en droit de refuser (Cass. soc. 11-7-2001 n° 99-42.710 F-P : RJS 10/01 n° 1111).
Ajoutons que, pour la Cour de cassation, une clause du contrat ne peut pas autoriser par avance l’employeur à le modifier unilatéralement (Cass. soc. 14-11-2018 n° 17-11.757 FS-PB : RJS 1/19 n° 10).
Le changement d’horaire peut avoir un caractère temporaire
La chambre sociale de la Cour de cassation admet par ailleurs qu’il n'y a pas modification du contrat de travail dès lors que le salarié a expressément accepté par un avenant à son contrat de travail le caractère temporaire de la modification (Cass. soc. 31-5-2012 n° 10-22.759 FS-P : RJS 8-9/12 n° 685).
Dans les deux affaires soumises à la Cour de cassation, l’organisation de travail en horaires décalés n’avait pas vocation à être définitive. Les avenants aux contrats de travail avaient bien été conclus pour une durée limitée, mais alors que dans un cas, conformément aux dispositions de l’accord d’entreprise, une date avait été précisément fixée pour le retour à l’application de l’horaire collectif, dans l’autre, la durée de validité de l’avenant était renvoyée à une décision unilatérale de la hiérarchie en fonction des besoins de l’entreprise.
Du caractère contractuel ou temporaire de l’horaire décalé dépend la modification ou non du contrat de travail
Dans les deux espèces, la cour d’appel a donné gain de cause aux salariés et ordonné leur réintégration dans une équipe en horaires décalés. Pour les juges du fond en effet, les horaires décalés avaient été contractualisés et en notifiant aux salariés le retour à l’horaire collectif de travail, l’employeur leur avait imposé une modification de leur contrat de travail.
La chambre sociale ne la suit que partiellement. S’attachant à la formulation des avenants et faisant une application de sa jurisprudence en matière de modification du contrat de travail rappelée ci-dessus, elle adopte des solutions différentes.
Comme les juges du fond, la Haute juridiction estime, pour la majorité des salariés concernés, d’une part, que les parties avaient entendu contractualiser les horaires décalés et, d’autre part, que les avenants conclus par les salariés ne prévoyaient pas, contrairement à l’accord de 1997, la durée de cet aménagement mais renvoyaient le retour à un horaire collectif à une décision unilatérale de la direction, terme qui n’était pas opposable aux salariés. Cette modification ne présentant donc aucun caractère temporaire, la notification par l’employeur en 2015 de l’abandon des horaires décalés constituait une modification du contrat de travail que les intéressés étaient en droit de refuser.
S’agissant en revanche du salarié pour lequel des avenants à durée déterminée s’étaient succédé avec un terme précis, la chambre sociale, confirmant son arrêt du 31 mai 2012 précité, approuve la cour d’appel d’en avoir déduit l’existence d’un accord des parties sur le caractère temporaire de la modification du contrat de travail : en conséquence, il s’agissait en l’espèce d’un simple changement des conditions de travail qui s’imposait à l’intéressé ; le retour à l’horaire collectif à l’expiration du terme fixé par le dernier avenant ne nécessitait donc pas l’accord du salarié.